Au cours de navaratri, on célèbre donc la divinité sous sa forme féminine, on célèbre la Shakti. Le festival est l’occasion d’une actualisation du mythe de Durga, qui, invoquée par les dieux, apparait armée de leurs attributs, et s’élance, en compagnie de ses consœurs, combattre l’armée de démons et leur chef qui menacent l’équilibre de l’univers. La société vit ce mythe à travers des célébrations festives dans toute la communauté, le sadhaka le vit à l’intérieur, dans sa pratique spirituelle (sadhana).
Dans sa forme rituelle, les neuf nuits sont marquées par l’adoration de neuf formes de Durga que l’on appelle les navadurga. On y célèbre aussi les formes de la Déesse que l’on appelle les mahavidya, bien que leur culte soit indépendant, et que leurs rites soient célébrés au cours de nuits particulières, et des guptanavaratri, souvent réservés au cercle des initiés.
Les neuf Durga représentent chacune un aspect de la Déesse Mère qui se manifeste au cours de la sadhana par étapes. Il y a l’idée de progression intérieure dans la compréhension et la réception de l’énergie, qui est symbolisée par la succession des neufs formes de Durga. Chaque étape, comme chaque nuit, marque une avancée dans l’histoire du combat de Durga, jusqu’à sa victoire, qui représente la révélation de Durga, si difficile à atteindre.
Une chose à se souvenir dans cette sadhana qui peut remuer les émotions de ceux qui la vive, c’est que « la Mère est toujours victorieuse ». Elle est Jayanti. La victoire elle-même. Les démons, tous ces obstacles intérieurs qui nous empêchent de vivre le lâcher-prise dans la divinité, sont des illusions, eux aussi déterminés par le jeu (lila) de la mère Divine. Après tout, Elle est Mahamaya…
Les mahavidya représentent elles, des connaissances libératrices. Elles ont pour chacune d’entre elles, des sadhana bien spécifiques, et le sadhaka explore ainsi, au cours de son apprentissage, différents aspects de l’énergie. Une navaratri, éveil progressif de l’énergie, peut se produire dans une sadhana dédiée à Kali, Tripura Sundari, ou Tara par exemple. La progression est alors vécue avec un regard différent.
Il faut toujours garder à l'esprit que la Déesse est Une, et que l'on tente de décrire là différents travaux que Kundalini opère.
Les neuf Durga :
Shailaputriti : Shailaputri Durga porte le diadème de lune, monte le taureau Nandi, et dans sa main, elle tient une lance qui exauce les souhaits. Shakti est sous la forme de la fille d’Himalaya, Parvati qui apparaît après l’immolation de Sati. Il y a la notion de renouveau, de naissance.
Brahmacharini : Brahmachari Durga tient le rosaire et le kamandalu dans ses mains. Shakti est sous sa forme ascétique, c’est la volonté de libération. La sadhana gagne en force et en dévotion, par la détermination, l’exercice spirituel (mantra japa) et la purification. C’est la condition de l’âme avant sa réunion spirituelle. On symbolise cela en montrant la Déesse sous la forme d’une yogini, avant son mariage avec Shiva.
Chandraghanta : Durga Devi monte un tigre, son croissant de Lune devient une cloche. Durga s’élance ici contre les ennemis et lutte. La cloche symbolise la révélation de la présence, et les dimensions sonores de la Shakti par les sons qu’elle émet. Les armes sont les moyens subtils que l’énergie indépendante met en place pour que le travail de transformation énergétique et spirituel s’opère en nous.
Kushmanda : Kushamanda Durga tient deux vases de sang dans les mains. D’un clin d’œil elle crée, maintient et défait l’univers. Elle libère l’énergie du Soleil qui se met à resplendir de feu. Shakti donne la vie, elle est la vie, ce qui est représenté par le sang. Lorsque qu’une naissance a lieu, le nouveau né est recouvert de sang, et le placenta en est presque entièrement constitué. Le sang est le principe de vie. La vie est un océan de sang de la Déesse. Shakti est rouge. La pulsion de vie est victorieuse, et le théâtre de la manifestation de la vie est sous contrôle du pouvoir spirituel de la Déesse. Sous la forme de feu, Shakti purifie les canaux du système énergétique et brûle les imprégnations mentales, pour rayonner comme pure puissance, force solaire.
Skandamata : Skandamata Durga est assise sur un trône et porte dans ses bras son fils Skanda, ou Karttikeya, Muruga. Elle tient des lotus dans les mains. Shiva déverse sa semence qui est récoltée par Agni qui la donne à Ganga ne pouvant supporter son feu. Skanda apparaît alors avec pour mission l’éradication d’un démon. Il est confié aux matrikas qui seront des nourrices pour lui. C’est un archétype qui jaillit du sacrifice interne et de l'éveil du feu intérieur, porté par le fleuve central (Ganga). C’est la conscience germe qui remonte par le nadi médian. Les matrikas protègent et nourrissent cette conscience-germe afin qu’elle ne soit pas étouffée par la confusion et puisse grandir en esprit et en puissance.
Kathyayani : Devi Katyayani tient une magnifique épée et s’élance guerroyer sur le lion. Elle se présente sous la forme de la fille du sage Katyayan, béni par la trinité et les autres dieux. Katyayan voulu par sa sadhana, que la Mère divine s’incarne dans sa propre fille.
Shakti combat par l’épée, qui tranche dans la confusion. Le réel prend sens et surpasse l’irréel, qui devient illusion de la forme. C’est la discrimination. Le sage est ce sadhaka qui par son ascèse parvient à engendrer en lui-même une matrice qui est le parfait archétype de la Déesse. Il perçoit donc son âme comme sa propre fille.
Kalaratri : Bhayankari Mayi a les cheveux détachés et chevauche un âne en hurlant, la serpe dans la main. C’est Kali, qui apparait dans l’histoire de Durga, de la fureur de la Déesse, et qui terrasse le démon Raktabija qui se clone chaque fois que son sang touche le sol. Kali lèche chaque goutte de sang de Raktabija…Elle libère de la peur mais est effrayante elle-même. Shakti se manifeste sous sa forme sauvage. C’est un pic dans l’intensité de l’énergie. Le mental peut s’emballer par l’intensité du travail de la Shakti. Shakti continue de mettre à bas les malices de notre propre esprit. Puis elle se révèle dans sa noirceur immaculée : nuit spirituelle. Nuit du temps. L'âne, animal têtu et vil est pourtant choisis pour conduire Jésus à Jérusalem. Il y a la notion de folie sacrée également.
Mahagauri : Mahagauri, à la blancheur éclatante, monte le taureau et fait la joie de Shiva. Le blanc est pureté, Shakti se révèle dans sa pureté originelle, immaculée. Pureté de l’âme, et clarté d’esprit, qui réfléchit parfaitement l’incandescence de la conscience libérée de ses illusions. Pure espace radiant.
Siddhidatri : Siddhidayini Ma est assise sur le lotus de la réalisation. Elle est la réalisation et donne toutes les réalisations. Chaque être la vénère. Elle est abondance. Elle accorde tous les désirs. Ce que le sage l’ayant réalisé dit, cela devient vrai. Il est plus petit que l’atome, plus grand que l’univers, il se déplace dans son propre esprit à loisir et chante la libération. Le sadhaka est devenu siddha.
