Suite au message de Regard, qui a évoqué le fait qu'il s'est un moment retiré du monde à la "into the wild", je pensais qu'on pourrait en profiter pour faire un partage de nos expériences sur ce thème si çà vous dit. Ca m'a donné envie de partager ce que j'ai vécu, et une réflexion sur ce qu'est "le monde".
Deux trois expériences marquantes pour moi:
KHASPANG GOMPA - LADAKH
C'était en 2006. J'étais au Ladakh et je voulais faire une petite retraite dans un monastère. Je suis allé voir un moine à l'administration des monastères à Leh, et il m'a donné une lettre et m'a dit d'aller à "Igoo", un village paumé dans la vallée. J'y suis donc allé, avec mon sac à dos. Du village, j'ai trouvé un bus qui transportait pas mal de monde jusqu'à l'ermitage de Khaspang (qui est un ermitage dépendant du monastère de Chemray, qui est le monastère que l'on voit dans le film SAMSARA - c'était le but de mon voyage, aller sur les traces des lieux vu dans ce film). La grosse surprise à mon arrivée c'est que c'était blindé de monde! Je suis arrivé en plein festival où les villageois allaient faire des offrandes au monastère. L'intendant m'a accueilli et m'a fait assoir avec les moines. Et les villageois sont passés devant moi, et m'ont déposé des offrandes, gênés (pour ne pas me vexer vu que j'étais assis avec les moines). Situation cocasse! La suite l'est encore plus en fait. Ils m'ont mis dans une chambre, et m'ont laissé en plan. Personne ne parlait anglais. Je ne voyais les moines que pendant les repas. J'ai tenté de cuisiner des pâtes un soir, avec de la farine d'orge et des œufs pourris. C'était rustique! En tous cas, j'ai vite compris qu'il fallait que je me fasse un programme perso pour ne pas tourner en rond dans ma tête : méditation, balade, écriture. Assez vite, je me suis sentis vraiment seul. Et les premiers jours ont été durs alors que le lieu était juste totalement paradisiaque. A un moment, je me suis paumé dans la montagne, et j'ai rencontré des Yaks qui m'ont fait flippé. Il y a eu des évènements marquants avec les moines. Il y avait un jeune, et à un moment, on s'est regardé, et il y a eu un échange très particulier. On s'est reconnu mutuellement. Comme s'il rêvait de ma vie en occident, et moi de la sienne ici. Alors que je pensais que personne ne parlait anglais, le plus vieux moine m'a sortis une phrase en anglais à un moment, ce qui m'a vraiment étonné. Il y a eu aussi des nones venus faire un rituel funéraire. Elles étaient juste à coté de ma chambre et ont psalmodié des mantras toute la nuit entrecoupés d'expirations vigoureuses et sonores. Sur le moment, çà m'a fait sourire et le lendemain on m'a expliqué ce que c'était...Je ne suis resté qu'une semaine environ. Mais çà m'a paru être une éternité. Tout mes repères ont été secoué très rapidement. Et çà a laissé place à un sentiment d'espace, de vide, mais lumineux. Le plus dingue en fait c'était mon départ. L'idée était d'essayer de choper un bus scolaire dans la vallée à 7h du matin, c'est à dire à deux heures de marches du gompa. C'est à dire marcher de nuit seul dans la montagne. Et pour me faire flipper, pour rigoler (quoique), on m'a dit qu'il y avait des léopards des neiges dans la vallée. Alors je suis descendu jusqu'au village, avec un bâton dans la main la nuit, en flippe total. lol. Je me souviens que je me faisais sourire moi même me disant "mais dans quoi tu t'es embarqué encore?!". lol.

ALEYRAC - DRÔME
Je ne développerai pas trop à ce sujet parce que je suis fâché avec les intendants du lieu. J'en profite d'ailleurs pour dire que c'est de l'histoire ancienne pour moi cette embrouille, et que je ne garde que les meilleurs souvenirs (s'ils me lisent). En tous cas, j'ai fait pendant des années une série de retraites dans ce lieu sauvage de la Drôme provençale, à dormir dans la nature, en camping sauvage. Vu que le lieu en plus, est dédié au travail spirituel, cela créait une ambiance vraiment particulière dont j'ai toujours la saveur. Il n'y a qu'une fois où je suis resté tout seul quelques jours sur place. J'y ai rencontré mon meilleur ennemi. J'ai vraiment flippé. Il ne me laissait aucun échappatoire. Et je n'arrivais pas à m'abandonner à rien. A juste à être là. "Juste être là" était aussi un échappatoire! Terrible! C'est vraiment difficile de ne rien faire. Et surtout dans la nature. Quoiqu'il en soit, dans une telle circonstance, on établit un mode de communication oublié, comme si un savoir ancien de rapport au monde revenait, et çà peut faire peur. Il y a une sorte de réseau entre notre esprit et la nature qui se renoue. Et c'est totalement implacable!
AGHORA KUTI - NEPAL
A la suite d'une expérience bouleversante en Inde à Bénarès, je suis partis au Népal pour refaire mon visa. Il fallait à ce moment que je trouve un endroit où me poser, et me reposer l'esprit. J'ai commencé par m'installer dans un petit village à coté de la ville de Pokhara. C'était au bord du lac, très paisible, et j'allais en vélo en ville manger un bout de temps en temps. Un lieu vraiment beau. Je me suis baladé dans les montagnes aux alentours. Mon esprit était vraiment bizarre à ce moment là. Tout ce que je faisais avait un sens qui aussitôt repéré, aussitôt m'échappait. Ça me rendait fou. Et je ne savais pas du tout comment gérer ce genre de phénomène à l'époque. Je me suis dis qu'il fallait que j'aille voir des moines capables de comprendre l'état d'esprit dans lequel j'étais. Il me fallait je crois une sorte d'intervention spirituelle pour me faire redescendre sans accident. Et comme par hasard, j'ai trouvé sur le net dans la ville, un blog d'un ashram aghori. Je leur ai écris, et le supérieur m'a dit que c'était ok, que je pouvais aller dans la maison de son disciple. C'était un tout petit ashram. On y voyait en contrebas toute la ville de Kathmandu, et derrière, les hautes montagnes. Ce qui était marquant, c'était que le matin, une brume recouvrait la ville, et que l'ashram se situait au dessus d'elle. On pouvait méditer au dessus des nuages! Très symbolique. Et efficace. Le moine était assez jeune et parlait parfaitement anglais. C'était un sadhaka très sérieux, et très discipliné. Et loin des clichés sur les sorciers cannibales qu'on entends au sujet des aghoris. Outre mes pratiques perso, on se retrouvait à l'heure de la cérémonie, du repas, et le soir au coin du feu, pour parler de sujets attraits à la voie spirituelle. En une semaine, j'étais sur pieds. Et je me suis sortis de cette folie qui me gagnait. Mon retour à Kathmandu, s'est faite impec. Et je me souviens d'avoir vu dans un resto un citation du Bouddha qui a bien résumé cette retraite et son enjeu : "become the master of your mind rather than let your mind master you" (deviens le maître de ton esprit plutôt que de le laisser être maître de toi). J'ai retrouvé ce baba sur facebook il y a quelques mois!
NOTRE DAME DE PARIS - FRANCE
Alors cette retraite là, c'est de loin la plus marquante de ma vie. Et pourtant, c'est un lieu familier pour moi, que je fréquente depuis mon enfance. Un lieu aussi très fréquenté. Mais quelle retraite! Et je suis sortis du monde à ce moment là. J'ai encore du mal à en parler, tant çà m'inspire une sorte de crainte sacrée ce qu'il s'est passé. Je n'ai pas été l'instigateur de cette retraite. A la base, j'ai suivis mon enseignant dans sa retraite à Notre Dame. Et j'ai voulu en faire une moi même ici. Il avait tracé le chemin, il suffisait de suivre. Chaque soir, je rentrais chez moi, dans le 95. Et chaque jour marquait une nouvelle étape dans ma progression spirituelle. Une nouvelle perspective, un nouvel enseignement. Et de jour en jour, çà montait en intensité et en profondeur. J'ai du la jouer très fine pour ne pas que mon choc intérieur n'inquiète mes proches à ce moment là (et moi même). Et même en essayant de me camoufler, je me suis fait grillé! Haha. En tous cas, quand je dis que je suis sortis du monde, c'est parce que je me suis rendu compte là, très sérieusement, que Je était partout, et qu'il n'y a de "monde" que dans la vision de la dualité, et de la diversité. Sortir de la dualité, c'est vraiment sortir du monde. Comment parler de monde quand chacun et chaque chose que l'on voit est Dieu? J'ai aussi rencontré des êtres incroyables pendant cette retraite. Un "illuminé" qui comprenait ce que je faisais là et me faisait comprendre qu'il était passé par là, des gens de toutes les religions qui pensaient que je priais leur Dieu à eux, un américain qui faisait un tour du monde en vélo, avec qui j'ai partagé un couché de Soleil. Bref. Un voyage-retraite qui restera à jamais gravé dans mon coeur, et qui s'est finis pour la fête de Ganesh, qui correspond aussi à la période de mon anniversaire. L'île de la cité est un sanctuaire devenu secret. Pas étonnant que toutes les religions s'y sont installées, époques après époques. Paris. Wow. Hommage à la ville de Lumière!