Pour comprendre ce Sutra il nous faut impérativement faire un tour dans le Samkhya et comprendre ce mot "Enstase".Yoga Sutra de Patanjali a écrit :Sutra 17
17. L’enstase appelée « connaissance différenciée ou avec support » est celle de l’argumentation sur les éléments grossiers, de la discrimination sur les éléments subtils, de la félicité et de l’abandon de la notion d’ego.
Le mot "enstase" qui correspond à Samadhi a été créé par Mircea Eliade, il est l'opposé d'Extase...
Extase nous propose un état d'exaltation qui s'installe par un événement extérieur (ext => tase), par exemple voir un beau paysage, entendre une belle chanson.
La personne dans l'extase est subjuguée…
L'enstase ou le samadhi est un état hors de la manifestation, qui ne s'inscrit ni dans un monde intérieur ni extérieur, mais dans l'esprit, hors du temps et de l'espace.
Il y a deux sortes de samadhi, Samprajnata (avec support) ou Asamprajnata (sans support).
Samprajnata se décline en quatre sortes.
- vitarka samādhi : Forme de concentration discriminante sur les éléments grossiers (Mahābhūta)
vicāra samādhi : Forme de concentration discriminante sur les éléments denses et subtils (Tanmatra)
ānanda samādhi : La paix ou la félicité en Soi
asmitā samādhi : L'auto-réalisation, où l'on distingue Puruṣa de Prakṛti. On peut entrevoir la notion d'éveil ici.
Dans le vitarka samādhi on travaille sur la prise de conscience des éléments grossiers, en premier dans notre corps physique :
Ainsi, la terre se perçoit comme quelque chose d’opaque, de stable, de sucré, carré, jaune, le souffle devient court et ne va pas au-delà de 12 doigts au bout des narines, Ouest.
L’eau est liquide, froide, humide, elle se répand, fade, demi-lune, blanc, 16 doigts, Est.
Le feu est brûlant, éclairant, transmute la matière, pimenté, triangulaire, rouge, 4 doigts, Sud.
L’air est léger, se déploie, acide, circulaire, bleu sombre ou gris, 8 doigts, Nord…
L’éther est le contenant, vide, amer, un point, multicolore, sans souffle, au centre…
Puis sur notre corps d’énergie, ainsi, on perçoit les chakras en relation avec les Mahābhūta.
Mûlâdhâra : Terre => odorat => Marche
Svâdhisthâna : Eau => gout => Préhension avec la main
Manipûra : Feu => vue => élimination
Anâhata : Air => touché => reproduction
Vishuddha : Ether => ouie => parole
Âjñâ et Sahasrâra n’ont pas d’éléments associés, pas de sens (Jñānendriya) ni moyen d’action (karmendrya).
Pour autant, Âjñâ se perçoit par un point lumineux d’une très belle couleur, et Sahasrâra se décompose en 12 étages (dvadachanta) qui permettent la rencontre des archétypes et des Dieux…
Les éléments subtils sont les tanmatras…
Il y a bien sûr 5 tanmatras, en relation avec les 5 éléments grossiers (Mahābhūta), les 5 sens (Jñānendriya), les 5 moyens d’action (karmendrya).
Les 5 tanmatras sont les capacités potentielles de perception. Le terme matra, dans tanmatra nous indique que ces capacités sont limitées, métrées, mesurables… "Tan" se traduit par tanner, tissé…
Les tanmatra créent un monde cohérent, percevable par les sens.
Śabdatanmātra => Le principe du son, qui permet la possibilité d’entendre et donne l’oreille dans le corps.
Sparśatanmātra => Le tangible et le thermique.
Rûpatanmatra => la couleur et la forme
Rasatanmatra => la saveur
Gandhatanmatra => L’odeur.
Il y aurait beaucoup de choses à dire sur ces 20 éléments (Mahābhūta, Jñānendriya, karmendrya, Tanmatra) liés ensemble…
En utilisant les sens, nous ne pouvons que percevoir les éléments grossiers (Mahābhūta) et donc simplement les examiner par l’extérieur et nous sommes dans vitarka samādhi.
En utilisant les tanmatra, nous pouvons séparer nos perceptions subtiles
Le vicāra samādhi utilise les tanmatra pour percevoir des choses subtiles, que nos sens ne peuvent percevoir directement.
Ainsi, en suspendant le souffle, en se concentrant sur un élément ou un objet précis, on peut percevoir dans sa forme des aspects que la simple vue ne peut voir.
Les tanmatra permettent de devenir voyant, clairaudiant, kinesthésique…
ānanda samādhi permet d’atteindre une paix ou la félicité en Soi, nous nous éloignons de la manifestation, même si le pratiquant en a encore conscience de lui et du monde. La paix nivèle toutes les perceptions.
asmitā samādhi nous plonge dans une simple conscience de notre individualité avec la saveur incroyable de l'Esprit...
Nous devons percevoir que ces quatre samadhi sont des samadhi et pas des états psychologiques plus ou moins vagues…
Dans ces quatre samadhi, le mental se tait, du moins la partie discursive qui fait que nous utilisons des mots pour nous parler sans cesse, s'est arrêtée…
Notre cerveau étant monotâche, soit il pense, soit il perçoit.
Le mental est en paix et l’objet perçu (physique, concept, psychologique) règne totalement dans le mental, ne laissant aucune place à autre chose.
La méditation est arriver à faire une longue concentration sur une perception.
Pour autant, ces quatre états n’ont rien de comparable à l’Asamprajnata Samadhi…
Dans ce samadhi, les murs de la personnalité disparaissent brusquement pour plonger la conscience dans la Présence, sans forme, sans temps, sans support, sans repère.
L’état est si transcendant que le Yogin qui éprouve cet état n’est plus conscient de rien.
C’est à son retour, des heures ou des jours après, qu’il se rend compte que des heures, des jours, des mois ont disparu.
L’expérience laisse un état intérieur incroyable de subtilité, de paix indescriptible.
Si cette expérience se réalise pendant un long moment, le Yogin plonge dans Turiya : « le quatrième » état transcendantal qui, à la fois, combine et outrepasse veille, rêve et sommeil profond (jagrat, svapna et sushupti) et constitue le substrat de ces 3 états. C'est donc un état d'unité avec la Divinité, un état de pure conscience, qui transcende les trois états de veille, de sommeil profond et de rêve, et qui est caractéristique du samadhi absolu.
Là où dans les états de Samprajnata la conscience de l’individu est encore liée à son histoire, à son personnage et simplement liée à des objets plus ou moins subtils, dans l’Asamprajnata Samadhi, l’union se fait avec Dieu où toute notion d’ego a disparu.
La traduction de Jean Papin, qui parle d’abandon, pourrait nous induire en erreur sur l’idée d’un acte volontaire d’abandonner quelque chose… Cet abandon existe au début du chemin, on doit chercher l’abandon de soi au Soi pour trouver l’Asamprajnata Samadhi, puis une fois réalisé, l’état porte en lui la transcendance du moi et sa disparition dans le Soi absolu.
On parle aussi de savikalpa samadhi (Samprajnata) où le Yogi garde le sentiment de dualité et du nirvikalpa samadhi (Asamprajnata), où toute différenciation est exclue.