Re: Samadhi Pada - Sutra 12 a 15...

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Denis
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Re: Samadhi Pada - Sutra 12 a 15...

Message par Denis » 09 déc. 2024, 22:42

Yoga Sutra de Patanjali a écrit :12. La suppression de ces états de consciences s’obtient par la pratique et le non-attachement.
13. Mais l’exercice exige un effort soutenu,
14. Et il devient efficace quand il est durable, répété et enthousiaste.
15. Quand au non-attachement, il consiste à écarter le désir des objets sans cesse offerts à notre vue ou à nos sens, et à s’en libérer totalement.
Je trouve cohérent de prendre les 4 sutras d'un coup, car ils vont ensemble...

Patanjali nous dit clairement qu'il nous faut supprimer ces états de conscience et que cela se fait par la pratique et le non attachement...
La pratique sera expliquée tout au long des YS...
Assurément pour Patanjali, elle passe par les 8 étapes (Yama, Niyama, Asana, Pranayama, Pratyahara, Dharana, Dyana et Samadhi)
Dans ma pratique je rajoute Mudra, Tarka, Puja...
Étrangement, Patanjali place finalement le "non-attachement" au niveau même de la pratique, ce qui en dit long pour Patanjali sur la puissance et surtout la nécessité de la chose...
Pour bien comprendre le non-attachement, qui dans notre culture semble une chose assez compliquée et surtout emplie d'états d'âme en tout genre, Patanjali nous dit que nous devons écarter le désir des objets... En clair, le fait d'avoir des objets n'est pas un problème, mais c'est le fait d'avoir du désir, des émotions, de l'affect pour les objets qui pose un problème.
Je perçois là quelque chose de très important et que nous devons comprendre...
J'ai besoin d'une voiture pour faire ce que je dois faire, je vais donc acheter une voiture...
En cela tout va bien...
Mais dans le fait d'acheter une voiture, on va associer à cet outil, important pour notre existence, tout un tas d'émotions, de désirs, d'attentes, de projections et de protections incroyables.
Il nous faudra bien tenter de rester raisonnable pour ne pas succomber au dernier coupé Mercedes ou je ne sais quoi d'autre...
Mais je me suis toujours posé une question dans tout ça...
Pour moi, il n'y a pas vraiment de solution...
Il me faut une voiture... OK !
Je ne dois pas mettre de désir dedans...
La bonne blague !
Tout me pousse à vouloir une voiture qui me correspond et qui sera m'apporter un certain plaisir de conduite.
Dois-je alors, sous prétexte d'un code moral ou je ne sais quoi, être obligé d'acheter un truc avec 4 roues, sans vie, sans âme, sans feu... :marteau: :beurk:
Dois-je me flageller encore plus et alors aller à vélo, même quand je dois faire 80km pour aller voir un client...
Non, désolé, je ne vois aucune solution et si vous en avez une, je serai très heureux de l'entendre !
Il me semble que la seule solution est d'entrer dans un monastère, de fuir totalement ce monde pour ne plus jamais croiser une belle voiture, une belle femme en mini-jupe et un bon gâteau au chocolat... Mais même là, qui pourra parler de paix ???

Le Yoga demande un effort, il doit être durable, répété et enthousiaste...
Durable, oui, on doit pratiquer un certain moment, laisser bouillir la casserole sur le feu, pour que l'eau dedans change d'état...
Répété... Oui, bien sûr, avec le fait de répéter quelque chose s'installe, là où il y avait intellectualisation du début, il y a quelque temps après maitrise et donc le Yoga s'est incarné et va se révéler en nous.
Enthousiaste ! Ha que j'aime ce mot !!!! Dieu en Soi !
Oui, Dieu en soi, voilà que la pratique du Yoga doit nous apporter Dieu en nous...

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Re: Samadhi Pada - Sutra 12 a 15...

Message par Mithuna » 12 déc. 2024, 10:14

De façon naturelle après la description préalable des "pathologies" spirituelles qui aliènent notre conscience, les Ys abordent ici deux remèdes pour les surmonter. A noter la conjonction et qui signifie que ces deux disciplines doivent être menées ensemble.
Un des paradoxes du chemin spirituel décrit par les YS est que même si cette pratique est un défaire, un arrêt, une résorption (YS 1-2) seule une discipline rigoureuse "persistante" peut amener à un résultat. Un ami qui jouait du piano m'expliqua un jour que lorsqu'il arrêtait de travailler une semaine, il lui en fallait plusieurs pour retrouver son niveau d'interprétation antérieur. Force est de constater que l'arrêt du travail spirituel constitue rarement un simple sur place, mais plutôt une régression.
Dès lors que nous avons décidé de nous engager sur la Voie du yoga, deux mouvements antagonistes coexistent et s'affrontent en nous. Le premier est la tendance naturelle de notre conscience à se projeter vers l'extérieur (qu'il s'agisse de l'extérieur de notre corps ou de nos représentations intérieures) (YS 1.4). Ces projections issues de nos conditionnements forgent l'assise de notre destin personnel en agissant comme des "algorithmes" latents susceptibles de léser notre devenir en générant des formes de conscience qui "s'attachent" en nous. Le second qui est le résultat de notre pratique (YS 1.2) est la résorption de cette tendance au profit de la découverte du Drastr (YS 1.3).
Ce dont il est question est donc une réorientation en profondeur des énergies qui animent notre appareil psycho somatique et dont le moteur est constitué par les latences et les conditionnements. La pratique persistante nous rappelle que le sentier du Yoga s'inscrit sur le long terme, mais aussi une discipline et une régularité dans la pratique aux antipodes d'une approche spéculative. Des efforts en dents de scie alternant des périodes de relâchement avec des pics intenses peuvent engendrer des résultats mais rarement une métamorphose profonde et durable.
Cette pratique persistante comporte deux volets.
Le premier concerne les moments particuliers de la journée où nous nous "isolons" du monde extérieur, de ses tracas et de ses mirages, pour effectuer notre Sadhana. La régularité de cette discipline est importante. Il s'agit d'un "conditionnement pour se déconditionner", d'un rendez-vous régulier avec notre profondeur qui engendre en nous une graine de métamorphose de tout notre appareil psycho somatique, bien au-delà de simples considérations abstraites.
Le second volet constitue un prolongement de cette pratique dans notre quotidien. Ici encore il ne s'agit pas d'un effort volontaire pour "ascétiser" chaque secteur de notre vie, mais d'une conséquence de notre persévérance dans le premier volet de notre pratique. Lorsque nous sommes concentrés sur nos activités quotidiennes, personnelles ou professionnelles, il engendre un signal dés lors qu'un contenu interne ou externe lèse notre équilibre intérieur en éveillant en nous le témoin (YS 1.5) . Ce prolongement de notre pratique engendre à la fois un renforcement de nos capacités de concentration et par conséquent d'efficacité et l'aptitude à de laisser émerger des instants "d'espace entre deux pensées", de les accueillir lorsqu'ils surviennent quelle que soit notre occupation. Nous découvrons alors qu'il n'existe aucune incompatibilité, aucune rupture entre notre monde intérieur et chacune de ces occupations.
Un point de basculement se produit lorsque, au sein même de nos activités quotidiennes, qu'il s'agisse d'un travail impliquant concentration et attention, ou de nos phases de loisir, le travail de résorption des stases de conscience engendre une perméabilité des plans de conscience. Alors insensiblement la vision du Drastr pénètre ces couches, au début timidement, devant se frayer un passage entre les agrégats de conscience constitutifs de notre monde intérieur.
Ce qui nous amène naturellement à la question du non-attachement. Ce que j'expose ici est ma propre vision compte tenu de mon vécu et en restant dans la logique des Ys et seulement cette logique.
Dans ces conditions – comme tu l'exprimes, Denis - il n'est surement pas question de répondre de nos actes ni de nos pensées devant un Dieu qui récompense ou punit, ni devant un texte sacré émanant d'une inspiration divine, ni même d'un surmoi quelconque, la notion de morale étant étrangère à l'esprit de ces premiers sutras. Dans cette logique je ne suis pas convaincu que l'exil dans un monastère soit une solution radicale, la belle voiture, la belle femme ou le bon gâteau pouvant bien s'inviter dans la cellule ou la grotte en s'installant de façon durable dans une des strates de conscience et troublant ainsi la plus religieuse des contemplations.
Pour être concret, si la vision d'une Porsche provoque en moi un flot d'images qui s'accompagnent d'un plaisir et même d'un processus imaginatif énergisant, c'est une forme de conscience parmi d'autres, dans la mesure où je ne suis pas à cet instant dans l'état de Yoga (YS 1.2). Mais si cette image de Porsche engendre en moi un désir obsessionnel de posséder une Porsche et m'embarque dans un scénario aliénant, je suis certain que pendant la méditation ou même dans le quotidien, je ressentirais un signal d'alarme de mon Drastr, le Maître intérieur. Ce signal d'alarme est la manifestation d'un risque de projection énergétique – et de déformation de mon mental comme nous l'avons vu dans le sutra 10 - car "l'énergie suit la pensée" avec des conséquences sur mon engagement spirituel mais aussi potentiellement sur mon destin personnel. Si je prends plaisir à déguster un bon gâteau, c'est une autre forme de conscience peu centrifuge donc peu douloureuse au sens du sutra 5 , mais si je passe mes journées à attendre le moment du dessert et chercher des recettes de plus en plus sophistiquées, la dépendance est manifeste et deviendra tôt ou tard incompatible avec ma pratique du moins si je reste à l'écoute de mon maître intérieur. De même pour la sexualité, si la simple stimulation sexuelle à la vue d'une belle femme ne lèse pas mon devenir intérieur, l'obsession sexuelle, une recherche effrénée de nouvelles sensations à travers des partenaires ou des pratiques multiples risque de devenir une aliénation, un gouffre énergétique qui m'aliène dans des formes de conscience sans fin .
Dans la continuité du travail sur la mémoire (YS 1.11) , un critère de dangerosité est la permanence de tels contenus de conscience qui non seulement s'enracinent mais vont à leur tour engendrer de nouveaux besoins. Dans les exemples précédents la distinction est très nette entre des stimulis extérieurs provoquant une réaction mentale immédiate et leur persistance, la façon dont ils s'installent depuis la périphérie sensorielle de notre conscience dans son intériorité.
Dans ces conditions si nous revenons maintenant à nos YS, pouvons-nous purement et simplement ignorer le "non attachement" et ne conserver que "la pratique persistante" ou ne devons-nous pas le replacer dans son contexte ? Ne devons-nous pas considérer plutôt pratique persistante et détachement non comme deux disciplines séparées mais deux aspects indéfectiblement liés de notre évolution spirituelle, le fruit de la pratique persistante étant l'évidence du non attachement lorsqu'il s'avère nécessaire et le fruit du non attachement un renforcement de notre désir de libération et donc de notre pratique ?
En effet si dans un premier temps il peut exister une étanchéité forte entre notre pratique spirituelle et notre vie quotidienne, il arrive un stade où l'émergence du Drastr implique des choix qui peuvent parfois sembler radicaux. Les changements qui s'opèrent en nous nécessitent alors un réajustement de notre vision et de notre relation tout autant avec notre monde intérieur que notre entourage, ce qui peut impliquer des ruptures. Il peut s'agir de se débarrasser de dépendances sensuelles ou matérielles, d'une habitude ancienne, mais aussi de souvenirs aliénants comme nous l'avions vu dans le sutra précédent, ou même de relations qui deviennent incompatibles avec notre évolution intérieure.
Ainsi la méditation et l'ensemble de notre sadhana seront à la fois des révélateurs de tels enracinements et les remèdes permettant de s'en affranchir par le détachement. L'énergie latente en de tels comportements devient une force centrifuge rejoignant l'ensemble des latences qui nous projettent hors de notre centre spirituel, centre énergétique mais aussi somatique .
Il y a une semaine encore je m'attachais à bichonner ma Porsche et je découvre maintenant que cet attachement devient obsolète, mais – et c'est ici que le lien avec la pratique persistante est important – parce qu'un contenu intérieur émerge simultanément. Le moment de basculement est d'avantage une évidence intérieure nouvelle parfois conjuguée avec une constellation d'événements extérieurs, par exemple le cout disproportionné d'un élément du moteur de la Porsche que le résultat d'un choix personnel. Dans l'alchimie spirituelle des YS le Maître de la fonte est le Drastr, le Maître intérieur. Les circonstances extérieures ou intérieures décrites dans les sutras 6 à 12 se manifestent alors comme des révélateurs dans le processus continu de métamorphose intérieure qui tisse la demeure du Drastr.
Deux sutras permettent de bien replacer le terme de détachement dans la pratique exposée par les YS: "Yoga chitta vrittis Nirodha" (YS 1.2) : Suspension des activités psychiques et mentales (Papin) ou Inhibition des modifications du mental (Taimni) , le terme de Nirodha étant à nouveau employé ici de façon plus focalisée et " Viparyayo Mithya Jnanam Atad Rupa Pratishtham" (YS 1.8): La non-discrimination aboutit à une connaissance erronée (Papin).
Ainsi si nous avons mis en œuvre dans notre pratique l'enchainement des sutras précédents, le terme de non-attachement prend naturellement sa place.
- D'abord nous avons instauré comme socle de notre pratique la "suspension des activités psychiques et mentales" (Papin) (YS 1.2) en rompant la dynamique des contenus de conscience qui nous projettent hors de notre nature véritable (YS 1.3 et 1.4).
- Ensuite une telle discipline nous amène invariablement à reconnaitre les contenus "douloureux" (YS 1.5) c’est-à-dire susceptibles de nous projeter cette fois durablement dans un scénario aliénant.
- Puis vient insensiblement la discrimination (YS 1.8) qui permet de reléguer au rang d'objets de tels contenus.
- La "pratique persistante" permet d'enraciner en nous ce processus quel que soit le plan de conscience concerné (YS 9-11)
- Enfin ici (YS 1 12) le détachement est le résultat de cette pratique amenant à résorber l'enchaînement des conditionnements qui nous aliènent et entravent le processus de transformation spirituelle révélant la nature du Drastr (YS 1.3).
Le détachement dont il est ici question, s'opèrera donc par un "défaire" (1.2) et une discrimination (1.8) s'exerçant d'abord sur un enchaînement erroné de formes de conscience. De façon plus précise, dans la continuité de ce que nous avons vu dans le sutra précédent concernant la mémoire, le détachement consistera à "relâcher" des contenus obsolètes, des coquilles vides de sens au moment présent dans la logique de la transformation décrite dans les YS. Ce qui pouvait coexister la veille encore avec notre pratique spirituelle devenant dorénavant force réactive engendrant une connaissance erronée qui impacte notre devenir. Il pourra donc s'agit de dépendances physiques ou sensuelles, émotionnelles ou même d'attachement mentaux à des certitudes tenues pour acquises.
En effet si l'arrêt (nirodha) de la dynamique instaurée par de tels contenus peut sembler pénible pour notre personnalité, ce "détachement" devient une évidence dans le silence de la méditation : on ne met pas le vin nouveau dans les vieilles outres. Si notre pratique est continue, la véritable pénibilité spirituelle (YS 1.5) sera ainsi la conservation de tels contenus de conscience (YS 1.2) et des énergies centrifuges qu'ils impliquent. A l'inverse l'acceptation de ce "relâchement" des attaches engendrera non seulement une paix profonde, mais une dynamique spirituelle remodelant notre paysage intérieur et notre environnement.
La dynamique spirituelle des YS n'est pas une appréhension purement intellectuelle, ni une méthode analytique, mais bien une réorientation en profondeur de tout notre appareil psycho somatique, de tout ce que nous sommes ou croyons être. "On ne lâche pas la proie pour l'ombre" et si notre pratique ne débouche pas sur une graine de plénitude impliquant tout autant notre ressenti corporel et notre vécu sensoriel, un épanouissement émotionnel et une clarté mentale, alors il y a de fortes chances que nous soyons perméables aux poids de nos affects. La découverte et l'émergence progressive de la réalité englobante du silence intérieur, expression du Drastr, la pure Conscience induit en nous un renforcement progressif de nos aspirations vers le désir de Délivrance. Insensiblement une source fraiche et pure perle en nous, affadissant les liqueurs fortes antérieures.
Ainsi pour répondre à ta question, Denis, le critère sera donc ici la souffrance, la souffrance spirituelle au sens du sutra 5 résultant de la poursuite de ce comportement et de son enracinement qui nous amènera à nous "détacher" d'un tel conditionnement, le résultat de la discrimination étant l'évidence intime de cet impact. Nous ne parlons pas ici de bien ou de mal , ni de responsabilité vis-à-vis d'une quelconque instance extérieure, mais vis à vis de la transformation que la pratique spirituelle opère en nous, la souffrance étant le résultat de la prise de conscience du risque qu'un tel comportement fait courir à notre devenir spirituel, hors de toutes considérations spéculatives.
En ce qui me concerne, chaque fois que j'ai ressenti ce type de douleur qui peut prendre plusieurs formes, une simple tension intérieure ou un malaise sourd jusqu'à une injonction à peine voilée, sa raison m'est apparue rapidement au cours de la méditation ou même durant le quotidien dés lors que j'ai voulu la résoudre et avec elle l'évidence de la "rupture" avec une forme de pensée, un comportement ou une situation. Il n'y a ici ni bien ni mal au sens moral du terme mais dans la continuité de nos échanges sur le souvenir, l'évidence qu'une telle forme de pensée est à ce moment simplement obsolète, voire réactive en regard du mouvement de ma transformation intérieure. Cependant cette origine reconnue, j'ai toujours ressenti simultanément que mon choix serait l'exercice de mon libre arbitre, le Maître intérieur n'imposant rien.
Nous demeurons toujours libres de laisser perdurer et agir en nous les empreintes de nos conditionnements, enracinées non seulement dans notre psyché mais dans notre corps, notre système nerveux. Certaines d'entre elles demeurent difficiles non seulement à dissiper mais même parfois à mettre au jour. Ce que nous dit ce sutra c'est que la conjugaison d'une pratique continue renforçant notre Ishta, notre désir de délivrance avec l'évidente nécessité à un moment donné d'abandonner certains bagages pour continuer le chemin est le moyen de mettre en œuvre ce qu'annoncent les premiers sutras en "installant le Drastr dans sa propre nature" (YS 1.3).
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Denis
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Re: Samadhi Pada - Sutra 12 a 15...

Message par Denis » 12 déc. 2024, 18:39

Merci Mithuna pour tes paroles et tes réponses que j'apprécie beaucoup !

Assurément le chemin nous apporte des prises de conscience et oui, devant notre "Porsche" on peut avoir une prise de conscience de la futilité de la chose...
Pour autant, et j'aime beaucoup cet exemple de nos voitures, que devrai-je faire réellement avec cette prise de conscience ?
La nier et faire comme si de rien n'était, tout en continuant à prendre mon pied à rouler dans une voiture aux caractéristiques étonnantes ?
La revendre et acheter une Toyota Prius ( :beurk: hahaha) et donner ce qu'il reste de la vente aux pauvres du monde ?
La garder et me flageller à chaque fois que je roule avec ?
Que faire et comment vivre cela ?

Sincèrement, je ne sais où est la solution ?
Du moins j'en ai une idée particulière...

Bien sûr, on doit sortir du bien et du mal, qui sont impossibles à structurer d'une manière cohérente, chacun mettrait la barre au niveau de sa folie...

Il y a un texte qui dit : "Le guerrier doit faire ce qu'il aime faire".
J'aime beaucoup cette sagesse...
Assurément, celui qui n'aime pas spécialement "piloter" pourra se contenter d'une Toyota Prius, mais celui qui sait piloter et trouve dans cette pratique une grande joie, un yoga précis, pourra continuer à prendre de la joie...
Finalement, de cette dualité, très froide, avoir ou pas, très ascétique (comme notre ami Patanjali aime) il peut se créer un troisième point qui la transcende et fait que même si la prise de conscience est là, la joie, détachée du pilotage peut apporter beaucoup d'aspects positifs dans la suite de notre chemin...

NB : Je n'ai pas de Porsche et la Toyota Prius a bien évoluée ! :D
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Re: Samadhi Pada - Sutra 12 a 15...

Message par amandine » 15 déc. 2024, 22:19

Le sutra 12 nous apprend que l’arrêt de l’agitation mentale s’obtient par une pratique spirituelle intense et le détachement (l’absence de passion).
Pour Vyasa, la psyché est comme une rivière : « La rivière du psychisme, en vérité, coulant dans deux directions, coule vers le bien et coule vers le mal. Quand elle porte le mental vers l’isolement libérateur et qu’elle suit la pente du discernement, elle coule vers le bien. En revanche quand elle porte vers la transmigration et qu’elle suit la pente de la non-discrimination, elle coule vers le mal. Le courant vers les objets est asséché par le détachement ; le courant vers le discernement est libéré par la discipline du mental, laquelle consiste à voir avec discernement. En ce sens, la résorption des opérations mentales dépend de ces deux moyens. »
On retrouve cette idée des deux courants, dont tu as parlé et que tu as développée Mithuna.

Il y a aussi l’idée ici que le mental et les pensées s’écoulent comme une rivière, nous traversant. Nos pensées nous traversent, comme un flot. Et le mental peut nous submerger, nous pouvons être engloutis sous les flots, si on ne le discipline pas.
Dans les sutra 13 et 14, nous est proposée l’idée qu’en premier lieu on devra discipliner le mental par l’effort pour le stabiliser. Cette stabilité étant telle une terre ferme. Vyasa dit : « La stabilité est le cours apaisé du mental rendu inactif. »
Vyasa dit aussi :  « La persévérance est la condition pour que la psyché s’écoule paisiblement sans se modifier. » La persévérance demande concentration, orientation, énergie, enthousiasme, constance.
Quant au détachement, il y a l’idée de la soif : le yogin, la yogini « n’a plus soif d’objets qu’ils soient sensibles ou connus par la révélation ».
Détachement est parfois traduit par dépassionnement.
On ne choisit pas d’être sans soif. Le détachement s’obtient semble t'il. C’est une « maîtrise achevée » selon le sutra 15.
C'est en étant détaché que l’on obtient le détachement. Comment est on détaché ? Mithuna a parlé de "défaire". Il est souvent proposé de connaître le caractère limité des objets, en voyant leurs défauts, que les objets soient divins ou non divins. Vyasa conseille de ne pas les prendre en considération, sans désir ni aversion.
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Re: Samadhi Pada - Sutra 12 a 15...

Message par Mithuna » 18 déc. 2024, 09:19

Sutra 13 :
"Abhyasa est l'effort pour être fermement établi dans cet état (de Chitta-Vritti-Nirodha)" (Taimni)
"L'exercice exige un effort continu" (Papin)

Si le sutra précédent insistait sur la continuité de la discipline à travers ses deux composantes pratique persistante et non attachement, celui-ci introduit l'état d'esprit qui sous-tend ces deux aspects.
Abhyasa répond et dépasse ainsi à leur complémentarité comme Turya dépasse à la fois les différentes strates de conscience mais aussi l'alternance radicale entre l'état de Yoga (YS 1.2) et l'identification aux formes de conscience (YS 1.4)
L'effort dont il est question est à la fois une conséquence de la pratique et un composant moteur de la pratique elle-même. Il s'agit d'une sorte de "conditionnement spirituel" visant à se "déconditionner " de notre identification aux pensées. Cet effort s'articule en trois temps.
Dans un premier temps, sans effort de notre volonté il y a une prise de conscience soudaine que nous sommes en train de nous "embarquer" dans une succession de formes de pensées qui nous échappe. Ce signal est une sorte de "réflexe spirituel" de protection de notre intégrité de conscience. Notre pratique affinant nos sens spirituels dans le silence intérieur ils nous alertent de plus en plus en "bride courte" avant que les folles cavales qui nous entraînent dans une course mentale effrénée n'aient pris un élan irrésistible. Ce signal peut être ignoré, l'immersion dans cette "rivière du psychisme" évoquée par Amandine pouvant être confortable ou excitante.
Le second temps est l'effort de discrimination (YS 1.8) , c’est-à-dire l'identification de ce courant de pensée charriant des agrégats issus des plans de conscience au sein même du paysage sans cesse mouvant de notre univers intérieur. La discrimination nous permet de reconnaitre et d'isoler ce flux de conscience, même s'il nous est parfois difficile de le "décoller" de ce paysage intérieur. Il ne nous étonne, ne nous effraye, ni ne nous fascine.
Le troisième temps enfin est celui de la "désappropriation" de ce flux de pensée (YS 1.12), l'évidence qu'il s'agit d'un "algorithme", un enchaînement de causes et d'effet, un mécanisme autonome ne nous appartenant pas.
Une fois de plus il ne saurait être question à ce niveau de refuser tout enchaînement mental. Il est légitime que même durant la méditation certaines questions importantes se manifestent. Mais la pratique continue et le détachement du sutra précédent signifient simplement que le lien affectif puissant qui peut instaurer en nous une tension centrifuge doit se disperser. La "mise en isolement" de tels flux de conscience qui est l'application de la pratique de base "arrêt des modifications du mental" (YS 1.2) qu'il s'agisse d'un problème personnel, d'un souvenir chargé émotionnellement ou d'un affect émotionnel n'est pas un refus de les considérer, mais permet au contraire de les remettre "à leur place", garantissant l'étanchéité de la "forme du Drastr" (YS 1.3) sans qu'ils soient "les Maîtres de notre Maison" (YS 1.4). Une telle discipline n'est pas qu'une "hygiène spirituelle" mais bel et bien un gage d'efficacité et de réussite dans tous les secteurs de notre vie.
Ainsi l'Evidence d' Abhyasa répond à la Présence de Turya, le Silence intérieur; émanation du Drastr, dont Abhyasa est bel et bien le vigilant "bras armé" et protecteur.
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Re: Samadhi Pada - Sutra 12 a 15...

Message par Denis » 18 déc. 2024, 17:03

Merci Amandine et Mithuna pour vos belles explications...

Personnellement, je ne me laisse pas emporter par tout plein d'idées et mon mental est toujours assez paisible, je dois avouer que depuis des années, l'instant présent est ma demeure...
Ceci dit, comme je l'ai écrit plus haut, si, par exemple, Amandine et toi Mithuna mais aussi tous ceux qui passent par là, vous devez acheter une voiture, comment allez-vous gérer vos envies, vos attentes, vos projections ?
Quels seront vos critères ?

Pour ma part une multitude d'aspects apparaissent...
J'ai besoin d'une voiture pour faire beaucoup de km dans l'année (je bouge beaucoup)
J'aime "piloter" et ayant fait de la compétition pendant des années, je n'apprécie pas une voiture poussive, qui freine mal, qui ne tient pas par terre et qui est trop confortable...
J'ai aussi envie qu'elle me ressemble, oui quelque part, les choses que nous avons autour de nous, nous définissent et nous ne pouvons faire autrement !
J'ai aimé observer cela chez plein de personnes depuis des années et des années, voir comment les gens rangent leur maison, comment leur bureau est agencé, comment ils se déplacent, ils parlent, se posent sur une chaise...
Tout cela est tellement l'émanation de notre être profond !
Par exemple, comment les gens conduisent en dit long sur leur confiance, leur sens de percevoir le monde extérieur, on retrouve cela aussi dans la faculté qu'ont les gens de descendre une pente caillouteuse et rocheuse.
Alors voilà, pour moi, il existe un plaisir à avoir une voiture qui me correspond, des outils qui sont performants, tout plein de choses qui apportent de la joie...
Il y a une chose évidente que je pourrais reprocher à Patanjali c'est que le mot "Joie" n'est pas présent du tout dans sa vision...
Ce mot est par contre très présent dans beaucoup d'autres cheminements spirituels...
Mais Patanjali est un ascète et cela est certainement l'explication, mais nous ne le sommes pas !

Alors comment fonctionnez-vous ?
Allez dévoilez vous ! :D
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Re: Samadhi Pada - Sutra 12 a 15...

Message par Mithuna » 18 déc. 2024, 21:56

Denis je ce que j'ai écris à partir d'exemples vécus et en réponse à tes questions ne sont pas de "belles explications" : il ne s'agit pas d'une approche théorique ou "belle" mais une description la plus détaillée possible de mon vécu, sans fioriture ni exhibitionnisme.
En ce qui concerne la voiture, n'étant pas un pilote sportif, si j'achète une voiture c'est je cherche qu'elle soit confortable, fiable en un mot qu'elle me mène là où je veux quand j'en ai besoin. Pour continuer dans cet exemple j'aime bien conduire mais si je peux comprendre le plaisir d'une conduite sportive je ne le partage pas. Par contre je ressentirais de la joie en conduisant dans la découverte d'un beau paysage, une nappe de brouillard nimbant la forêt, un chevreuil traversant la route et s'arrêtant et me regardant avant de repartir, ce qui m'est arrivé récemment.
Dire que Patanjali est un ascète t'engage personnellement, pour moi c'est un médecin qui nous donne des remèdes pour échapper à la souffrance de notre séparation non avec une entité abstraite mais avec la Vie la plus profonde et la plus authentique. Et le résultat de cette pratique n'a rien d'abstrait ni de triste, en tout cas en ce qui me concerne il est source de plénitude et de joie qui me pénètre physiquement, émotionnellement et mentalement.
Par contre si cette pratique telle que nous la vivons ne nous apporte pas de joie, non seulement dans la pratique elle-même mais dans ses résultats concrets dans toute notre vie il faut arrêter immédiatement, ou nous nous mentons à nous-même et nous mentons aux autres.
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Re: Samadhi Pada - Sutra 12 a 15...

Message par amandine » 18 déc. 2024, 22:57

Dans les yogasutra, il n'est peut être pas question de la joie mais de Samtosha : le contentement , la sérénité, la capacité de demeurer dans la sérénité.
Le yogasutra II,42  dit « De la sobriété résulte un bonheur sans égal » . Il ressemble assez au Vishnu purana quand celui ci dit « L’homme sage qui a rejeté le désir ne vieillit pas, même agé, et il est rempli de joie. Il ne connaît rien d’autre que la joie. » :) :)
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Denis
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Re: Samadhi Pada - Sutra 12 a 15...

Message par Denis » 21 déc. 2024, 09:05

Ce n'était pas mon but d'agresser qui se soit, désolé !
Mais oui, j'aime un peu bousculer les choses pour voir ce qu'il en tombe...
J'essaye juste de faire réagir sur le fait que se déconditionner de toutes nos attentes, désirs, passions, projections n'est quasiment pas possible...
Que l'ego est toujours à l'œuvre quoi qu'on fasse...
Pour avoir côtoyé pendant un peu de temps des sœurs dans un monastère, j'ai pu voir, même là, des tiraillements et des conditionnements...

Tu sais Mithuna si j'écris "Il y a une chose évidente que je pourrais reprocher à Patanjali c'est que le mot "Joie" n'est pas présent du tout dans sa vision..." c'est une simple vérité, le mot joie n'est presque pas présent dans son texte...
Le fait de dire que Patanjali est un ascète est aussi une simple réalité, les Yama et Niyama qu'il prend le montrent simplement :
Brahmacarya => La continence,
Aparigraha => La pauvreté...
Mais encore : 40. la purification provoque l’indifférence à son propre corps et l’absence de contact avec autrui.
Mais c'est cette phrase que m'amuse le plus :
15. Tout est vraiment souffrance pour celui qui sait. Tout évolue vers elle. Toutes nos tendances innées s’y acheminent. Toutes les forces contradictoires de la nature y aboutissent.
Il nous faut entrevoir que dans d'autres visions, on parle de joie et de plaisir, Patanjali aime bien parler de la souffrance, mais oui, ton idée qu'il est comme un médecin est bien, mais un médecin qui demande l'ascétisme...

Oui pour moi se déconditionner n'est pas possible, cela ressemble à une tentative du mental, de l'ego et non un état réel et durable...
Tu vois Mithuna tu dis que ta voiture doit être confortable, fiable...
Donc, tu ne prendras pas une voiture sportive, rigide, puissante, avec des suspensions raides, ni certainement une voiture rouge ou jaune, ni une voiture qui fait un bruit de formule1 :lol:
Peut-être préféreras-tu des formes rondes, avec un beau volume et surtout que tu te sentirais mieux dans une voiture comme ça ?
Mais oui bien sur toi comme moi, on est dans un bel état de paix et nous maitrisons nos émotions, cela est aussi une évidence !
Pour autant, j'aime être aussi observateur de comment je fonctionne et de voir que le conditionnement est toujours là et qu'il nous fait souvent réagir excessivement...
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Denis
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Re: Samadhi Pada - Sutra 12 a 15...

Message par Denis » 21 déc. 2024, 09:28

Je continue ici...

Je dis :
"Pour autant, j'aime être aussi observateur de comment je fonctionne et de voir que le conditionnement est toujours là et qu'il nous fait souvent réagir excessivement..."

En fait, c'est encore plus sournois que ça...
Bien sûr que nous n'en sommes plus à vivre avec des tensions immenses et que la simple vu d'une belle femme ne me fait plus grimper au rideau, je crois d'ailleurs que cela ne sait jamais réaliser chez moi...
Pour autant, si je reste sur la beauté féminine, j'avoue que l'émotion est là et c'est cela que j'essaye de mettre en évidence !
L'émotion et le désir sont de sublimes moteurs pour trouver l'élan vers Dieu, sincèrement, je pense que Dieu a créé la femme pour nous montrer qu'il existe, et la beauté (Rasa) est le premier étage de la manifestation, quand la lumière descend vers la création de l'élément terre (dernier étage)...
Nos conditionnements sont toujours là, même après 40 ans de pratique du Yoga !
L'émotion esthétique d'un paysage, de 2 chevreuils et d'un lièvre rencontrés hier soir sur ma route de montagne fut forte et réelle !
Oui, nous sommes en vie !!!
J'ai regardé il y a quelque temps une vidéo sur Thich Nhat Hanh, qui prône le déconditionnement total et la suppression de tous désirs et toutes émotions, et sincèrement, je n'ai pas ressenti la réalisation spirituelle, ni Dieu en lui, mais un être "constipé" mais souriant... :lol:
J'ai rencontré, Kientsé Rimpotché et j'ai aimé lire qu'il se mettait en colère et avait même renvoyé son palefrenier pour le regretter le lendemain...
J'adore voir Nisargadatta qui bouillonne sur place !!
Alors, je ne suis pas sûr, que vouloir chercher la réalisation spirituelle, doive passer par la disparition totale de tout désir ou émotion...
Assurément je ne suis un ascète !

Bonne journée !
Barbe rousse
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Re: Samadhi Pada - Sutra 12 a 15...

Message par Barbe rousse » 22 déc. 2024, 13:21

Comment naît un désir?
Mithuna
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Re: Samadhi Pada - Sutra 12 a 15...

Message par Mithuna » 23 déc. 2024, 13:40

Sutra 14 : 14. Et il devient efficace quand il est durable, répété et enthousiaste.

Denis, tu m'expliques que le mot Joie est absent des Ys. Dans ce sutra Jean Papin – ton Maître Spirituel si je me souviens bien – parle lui d'enthousiasme.
Ce mot me convient bien, d'autant plus que son étymologie enthousiasmós (possession divine, transport divin) - qui remonte à l’adjectif entheos (inspiré par un dieu ou par les dieux) nous renvoie à une qualité spirituelle qui n'a rien de froid. Il s'agira donc non d'une joie passagère mais d'une plénitude spirituelle durable qui sera à la fois le fruit de notre engagement et son moteur sur la durée, le "temps prolongé sans interruption" dont parle J Papin, témoignage de l'éveil de la graine de Samadhi.
Enthousiasme, remède triste d'un médecin triste, vraiment ?
Si nous lisons attentivement ce sutra, de la même façon que le sutra 12 exposait de façon indissociable "la pratique persistante et le non attachement", nous comprenons facilement pourquoi "l'effort durable et répété" ne peut se concevoir sans "enthousiasme". Le but recherché par les YS implique une métamorphose profonde et longue de tout ce que nous sommes ou croyons être. Si certaines expériences, ces "Rencontres" nous amènent sur la crête des vagues de l'effusion spirituelle, le chemin peut parfois sembler bien long quand nous sommes confrontés au quotidien et aux vicissitudes de la Vie, épreuves douloureuses ou terne quotidien. Dans ces moments, l'enthousiasme imprégnant notre être nous permettra de conserver le cap, comme un marin confronté aux tempêtes qui assaillent l'Océan ou condamné à attendre la venue d'un vent propice par un calme plat.
Ce sutra est donc important et il existe un risque réel à sauter par-dessus en ignorant l'importance de l'enthousiasme soulignée par J.Papin et qui n'a rien d'un gentil détail mais s'avère indispensable.
En regroupant plusieurs sutras nous pouvons rompre la dynamique spirituelle qu'ils instaurent, le fil d'Ariane qui nécessite d'intérioriser profondément les nuances qu'ils peuvent présenter, surtout si elles nous semblent secondaires ou pire nous interpellent en remettant nos certitudes en question. Ne cherchons pas de raccourci, ne soyons pas comme ce paysan qui tirait sur l'herbe pour en accélérer la croissance. Nous pouvons disserter longuement sur ce qu'est Kaivalya le but et le dernier sutra (YS 4.3) mais pour ma part ce ne seront que … des mots, une représentation qui peut être stimulante, mais aussi aliénante. Je prendrai donc tout le temps nécessaire pour dérouler le fil de chaque sutra.
Je considère en effet que les YS nous tracent un chemin spirituel qu'il convient de suivre pas à pas "comme un renard sur la glace" en privilégiant le lien entre notre vécu personnel et le texte. Les YS sont pour moi un "manuel" spirituel une carte du territoire qui si fidèle et respectable soit elle, ne sera jamais le territoire. Bien au contraire entre une soumission littérale au texte et une interprétation de ce texte guidée par mon vécu intérieur je privilégierai toujours mon vécu, issu de ce que m'a transmis mon Maître, en prenant le risque assumé que l'on me reproche de faire des YS une "grille de lecture" de ce vécu, un tel reproche supposant naturellement que son responsable ait une connaissance intime et non livresque de l'expérience intérieure qu'ils décrivent, ce qui restera à prouver.
Donc si j'examine les points du second chapitre que tu évoques au sujet de l'ascèse, non pour tailler une veste à Patanjali ce qui nous importe peu mais pour confronter une fois de plus mon vécu intérieur au déroulement du texte, il est clair qu'ils ne me concernent pas plus que toi du moins dans une lecture littérale. Lorsque nous en serons à ce point, soit je considérerai purement et simplement que ces directives ont surement un sens dans un contexte purement "ascétique" et que je peux prendre le risque de les considérer comme inappropriés à l'aune de mon vécu intérieur, soit je les interpréterai dans la cohérence de mon vécu fondamentalement différente d'une interprétation littérale. Mais dans tous les cas j'éviterai de les "planquer sous le tapis".
Il est également possible que je considère que ces aspects ascétiques et l'ensemble de leurs implications du Sadhana Pada ne me concernent pas, pas plus que les siddhis du Vibhuti Pada ou les états de conscience proches de la délivrance du Kaivalya Pada. Dans ce cas je m'arrêterai, préférant approfondir et vivre ma pratique telle qu'elle est exposée dans ce premier chapitre, le Samadhi Pada plutôt que de partir dans une démarche purement spéculative qui ne m'apportera aucun enthousiasme.
Il est également possible – mais cela n'engage que moi – que ces 4 chapitres s'adressent à des individus différents, de la même manière que plusieurs théologiens considèrent que les 4 évangiles parlent à des individus différents. Ou alors à un même individu (mais sera ce vraiment le même ?) à différentes phases de son évolution spirituelle, dans une ou plusieurs vies (dans la logique qui est celle du tréfonds spirituel de l'Inde) ce qui expliquerait les ruptures entre eux. Dans ce cas le Second chapitre Sadhana Pada concernerait les ascètes – les Sadhous, le troisième le Vibhutipada des pratiquants engagés dans une voie magique ou shamanique. Quant au dernier le Kaivalya Pada il concernerait les pratiquants se préparant à accéder à la délivrance, soit qu'il s'agisse d'êtres d'exceptions que les trois premiers chapitres ne concernent pas, soit des Yogis ayant mené à leur accomplissement un ou plusieurs des trois chapitres précédents.
En ce qui me concerne le premier chapitre représente un travail considérable et le découvrir jour après jour renforce mon enthousiasme. Le chemin spirituel est sinueux, foncer comme une "Porsche sans freins" ne m'intéresse pas. Paraphrasant Barbe Rousse je dirai "l'enthousiasme est dans le chemin", l'enthousiasme découverte de mon Dieu intérieur non comme une belle abstraction mais comme une Réalité Divine pénétrant mon quotidien. Je préfère prendre mon temps, profitant du paysage et des rencontres que je fais, de la plénitude et des métamorphoses qu'opère mon engagement jour après jour mais c'est mon choix et c'est peut-être pour moi la vraie différence avec un ascète.
Cependant si je ne suis pas un ascète je demeure certainement un disciple, un disciple qui sait ce qu'il doit à son Maître comme tu sais ce que tu dois à Jean Papin, un disciple qui est reconnaissant au ou aux rédacteurs des YS pour cet héritage intemporel qu'ils me transmettent, un disciple enfin car je sais car la voie du Yoga telle qu'elle est décrite dans ces premiers sutras exige discipline, "durable, répétée et enthousiaste". Cette discipline (Sutras 12 à 14) n'est donc pas une discipline austère et dénuée de plénitude émotionnelle puisqu'elle s'accompagne d'enthousiasme. Dans ce premier chapitre, le socle de la discipline qu'ils exposent et sur lequel insistent les derniers sutras est sans contexte le sutra 2 "Cessation des modifications du mental".
En effet, prendre conscience de façon persistante du fait que "je ne suis pas les pensées" est tout sauf confortable. Il ne s'agit pas de renoncer à nos possessions, ni d'inhiber toute forme de plaisir sensuel, ni de rester un bras en l'air jusqu'à ce qu'il se fige mais bien de renoncer à l'identification des modifications du Mental que nous considérions comme constitutive de ce que nous sommes.
Ayant enseigné longtemps la méditation tu sais comme moi à quel point pour certains pratiquants le fait de rester assis en Lotus ou en posture parfaite ou même sur une chaise et de simplement prendre conscience du fait qu'ils ne sont pas leurs pensées peut être dérangeant, voire douloureux ou même insupportable. Une discipline ne sera donc acceptée que si une graine d'enthousiasme émerge en eux, quelle que soit son origine.
Les restaurateurs de Notre Dame ont du accepter une longue discipline avant de pouvoir rebâtir cette merveille, mais ils étaient portés par l'enthousiasme. L'apprenti aura accepté avec humilité les injonctions voire les critiques, le compagnon se sera appliqué à parfaire gestes et pratiques avant d'accéder à la liberté de la Maîtrise. Sans cette discipline la voute s'effondrera, la peinture du vitrail s'écaillera ou ses couleurs s'estomperont. Nous ne restaurons pas une cathédrale extérieure mais le Temple, la demeure de notre Dieu Intérieur, la forme propre du Drastr abimée par les distorsions de nos aliénations, aux vitraux enfumés par les agrégats de nos contenus de conscience et même si ce travail est un "arrêt" il nécessite une longue discipline, mais qui contient en elle sa récompense, l'enthousiasme que suscite cette métamorphose.
Dans ma vision de cette "discipline enthousiaste" je suis responsable devant mon Maître intérieur et la continuité de l'évolution qu'il opère en moi et ce à un moment donné de mon itinéraire spirituel, des choix que je fais et cela me concerne moi seul dans la mesure où je ne lèse pas mon entourage. Là encore cette discipline n'a rien à voir avec la radicalité d'une démarche "ascétique" visant à éradiquer tout ce qui pourrait sembler éloigner d'un archétype tout aussi figé qu'une belle statue.
C'est pour cela qu'il est en effet comme tu le pointes peu responsable de juger de l'évolution spirituelle des Maîtres en fonction de ce qui peut nous apparaître comme des excès, pouvant "choquer" notre représentation de ce que "doit" être un Maître. Là encore notre discernement sera à l'œuvre, si certains "détails" peuvent nous alerter dans l'exposition d'une personne en révélant "qu'elle n'est pas ce qu'elle prétend être" comme une "ombre au tableau", la spontanéité et la plénitude de la vie traversant ceux que tu évoques plutôt que la perfection bien lisse d'un gourou "parfait", d'un ascète rigide n'en font pas partie. "Le Christ ne riait pas" dira l'inquiétant Jorge du Nom de la Rose et je ne suis pas certain que les candidats se précipitent pour suivre l'image du sentier qu'il propose. Tout Maître authentique conduit au Maître intérieur et ceci non malgré mais dans la dynamique de sa personnalité.
Mithuna
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Re: Samadhi Pada - Sutra 12 a 15...

Message par Mithuna » 30 déc. 2024, 08:53

Sutra 15 Quant au non-attachement il consiste à écarter le désir des objets sans cesse offerts à notre vue ou à nos sens et à s'en libérer totalement
Pour répondre à la question légitime de Barbe Rousse les désirs sont partie constituante de ce je suis, ai été et vraisemblablement serais et ce dans mon devenir personnel tout autant que dans mon engagement spirituel, les éradiquer n'est donc pas un but en soi. Par contre ce que m'apporte la discipline du Yoga qui est la mise en pratique du socle des YS "Arrêt de modifications du mental" c'est à la fois une sincérité dans la reconnaissance des désirs qui sont parmi les moteurs essentiels des "modifications mentales" et m'entrainent donc dans un mouvement de conscience centrifuge (YS 1.4) et une lucidité sur leur impact. Refoulés ils s'enracineront dans la mémoire non seulement psychique mais même somatique, se traduisant par des "regrets" de ne les avoir pas réalisés, à l'inverse avoir accepté une sujétion aveugle aura pu impliquer des conséquences personnelles et spirituelles et pourra être source de "remords". Ainsi la perception aiguisée de la "pénibilité" du désir me possédant à un moment donné (YS 1.5) révélera – si je l'écoute – le degré de "risque" de cette énergie sensuelle, émotionnelle ou mentale, risque personnel mais également spirituel.
Il est donc question ici de responsabilité et de sincérité, responsabilité éclairée par les sutras 7 et 8 connaissance correcte et incorrecte, discernement des désirs qui nous traversent et de leurs implications. Ces choix nous concernent profondément et plus nous avancerons dans notre pratique, plus nous nous libérerons de toute inféodation à quelque Surmoi que ce soit. Le sentier spirituel est un sentier de liberté et obéir aveuglément à n'importe quelle impulsion sensuelle, émotionnelle ou mentale n'est pas moins aliénant que de subir la tyrannie de commandements figés ou d'obéissance à contre cœur à quelque impératif respectable mais abstrait répondant souvent à un marchandage spirituel.
Ici le danger que représente nos désirs est moins l'impulsion issue de notre appareil psycho somatique que l'enchaînement de contenus de conscience qui y répond, pouvant aller jusqu'à une aliénation. Il y aura un prix à payer lorsque le courant d'énergie qu'ils engendrent modifiera profondément et durablement le paysage de notre monde intérieur et notre comportement. Des besoins les plus élémentaires et naturels comme le désir de s'alimenter, d'être en sécurité ou de vivre une sexualité épanouie jusqu'aux plus sophistiqués comme l'ambition ou la reconnaissance sociale, la maîtrise des désirs ne répond pas à une contrainte ascétique visant à éradiquer la source même de ces désirs, mais le torrent de formes de conscience qu'ils provoquent, dans une démarche de même nature que "la résorption des modifications de la conscience".
Il existe un autre aspect du même désir, qui en fait le moteur privilégié de la démarche spirituelle, mettant en mouvement une énergie puissante et durable qui fertilise et renforce notre discipline, engendrant un enthousiasme qui n'a rien d'une belle idée mais pénètre ce que nous sommes et que nous vivons et nous transforme. Dévotion intense envers une divinité, effusion profonde à la lecture et la méditation d'un texte spirituel, gratitude envers un Maître spirituel ou un enseignement, désir sincère et durable de réaliser pleinement ce qui a été entrevu ou ressenti lors d'une méditation ou d'une expérience bouleversante, quelle que soit leur forme ils mobilisent et fortifient notre enthousiasme, ensemençant profondément notre conscience de germes inaltérables.
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Re: Samadhi Pada - Sutra 12 a 15...

Message par amandine » 03 janv. 2025, 10:00

Bonjour et bonne année à vous :coeur:
Merci pour toutes les réflexions enrichisantes.
Est-ce que le non-attachement ne peut s’épanouir qu’à un certain âge ? Peut-être que cela dépend des vies antérieures. On rencontre des personnes qui très jeûnes semblent capables de détachement et d’autres très âgées qui ne s’y intéressent aucunement.
Les Yogasūtra nous disent que l’absence d’attraction pour les objets (pour ce qui nous est extérieur) est un moyen de maîtriser les citta vrtti. Nous sommes invités à observer notre tendance à la dispersion et au divertissement. Est-ce que l’on devient triste et sans vie si l’on suit ce chemin intensément ? Est-ce que la sève circule moins bien en nous si l’on coupe cet élan du désir ? Est-ce que la sève est liée à notre capacité à désirer ? Les Yogasūtra nous invitent à examiner et restreindre nos fonctionnements, désir et attachements. Chacun, chacune peut l’appliquer à la mesure qu’il choisit.
De plus, il y a le détachement des objets, des sens, mais il y a aussi un autre niveau de détachement qui peut être réalisé : quand on réalise la différence entre Purusha et les gunas. Qu’il y ait deux principes, aussi différents en nous et que leur différence puisse être réalisée, c’est au-delà de notre compréhension ordinaire, cette réalisation intérieure (qu’offre le Samkhya) ouvre une porte.

Il me semble que les Yogasūtra invitent le chercheur, la chercheuse à se désencombrer (pas à s'assècher), à réaliser quelquechose de lumineux, la grande paix de sattva. Comme dit Srī Svāmī Śraddhānanda Giri « une vérité qui n’enlève pas la souffrance n’est pas une vérité ». Mithuna, tu as parlé d'un "sentier de liberté", quelle belle expression. La vérité ici, dans ces derniers sutra est peut-être qu'un autre stade de détachement est possible, il s'effectue en réalisant la distinction entre les gunas et Purusha.
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Re: Samadhi Pada - Sutra 12 a 15...

Message par Denis » 06 janv. 2025, 09:54

Barbe rousse a écrit :
22 déc. 2024, 13:21
Comment naît un désir ?
Je crois que nous sommes désir avant tout...
Nous sommes nés de cela et il nous manipule à chaque seconde...
Tout en nous est désir, tout ce monde apparait, vit et meurt pour le désir...
J'ai lu une étude, il y a longtemps, qui disait que nous voyons (homme comme femme) les parties génitales d'une personne attirante, 10 fois plus rapidement, qu'un danger qui vient vers nous...
Combattre le désir est vraiment un grand combat, mais je crois que la porte de sortie, n'est pas là, pas dans le combat des désirs, cela me parait vain dès le début...

Apprendre à se poser, apprendre à maitriser ses pensées, ses états d'âme, et aller comme on est dans le sens de ce qui dit "Je suis", tout en restant le plus calme, le plus serein possible, est ce qui nous permet de franchir la première porte de l'arrêt du mental.
L'arrêt du mental est une étape bien précise, avec l'arrêt du mental il y a la disparition de tout ce que nous connaissons, de l'endroit où nous sommes, des remparts de notre personnalité, de notre histoire...
Mais cela ne dure que le moment de la pratique...
Il nous faudra revenir dans ce lieu de feu, pour tenter et tenter encore...
À chaque fois, nous reviendrons de ce lieu de feu dans "Bibi" et finalement Bibi n'évolue que très peu, Ahamkara, la forme que nous sommes qui emprisonne le "Je suis" ne change pas ou si peu.
Bien sûr ont peu évoluer, être moins coléreux si on a une nature coléreuse, être moins tamasique si notre nature est tamasique, mais je n'ai jamais rencontré une personne qui se soit transformée réellement en pratiquant quoi que ce soit, cela est un leurre, et le pire et d'y croire, car cela renforce un autre ego, celui de l'ego spirituel, qui fait que même certains maîtres ratent la cible aussi...
À un stade d'avancement, nous pourrons prendre les formes que l'on veut, devenir poisson, devenir lion, c'est ce que le Hatha Yoga propose à travers toutes les postures liées à des animaux (3eme livre des YS), le but étant de perdre notre attachement et notre limite psychologique à la forme humaine.
Une fois libéré de cette forme humaine, il nous sera possible d'entrer dans les étages du samadhi, pour accéder à la réalisation finale, celle de la mort du personnage...
Mais, pour moi, cela se gagne dans des tentatives dans lesquelles la profondeur est là, pas dans la maitrise de la bête que nous sommes, elle n'est que le temple où le feu doit être allumé...
Bien sûr, en pratiquant, un feu s'installe en nous et entre les pratiques, les braises de ce feu restent présentent, pour nous permettre de ne pas totalement retomber dans les multiples illusions de ce monde, mais, le chemin sera long et souvent les braises deviendront très faibles, voir même s'éteindront et au hasard d'une phrase d'une personne, ou d'un livre le feu reviendra, Bibi sera toujours là, et nous ne pourrons jamais le dépasser, hormis par une réalisation, soudaine et totale...
Je crois aussi que ces aller-retour sont la preuve d'un véritable chemin, d'une véritable remise en cause et de petites avancées...

En Inde, un être réalisé se nomme un deux fois né, cela en dit long sur la finalité du Yoga et la réalisation spirituelle.
À la fin, l'absolu, Dieu, sera là, entièrement à la place de Bibi...

NB : Mithuna Jean Papin n'est en rien mon Maître Spirituel, juste un traducteur des YS que j'aime bien, car assez droit dans ses propos et ne tombant pas dans le piège des visions psychologiques occidentales.
Yo-guy
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Re: Samadhi Pada - Sutra 12 a 15...

Message par Yo-guy » 06 janv. 2025, 12:45

Bonjour à toutes et à tous,

Tous mes voeux pour cette nouvelle année ! J'espère qu'elle vous guidera vers ce que vous désirez ( ;-) ) le plus ! Qu'elle vous apporte ce dont vous avez besoin, de la Joie, de l'Amour !
Vous avez peut-être cru que j'avais disparu de ce forum mais il n'en était rien. J'ai suivi assidûment vos échanges en essayant de formuler ma propre contribution. Et chaque nouvelle contribution m'a fait reculer le moment de poster la mienne tant ce qui a été dit ici m'a donné à réfléchir. Le résultat est ce qui suit, une réflexion que je sais un peu décousue (je m'en excuse), inachevée et non exempte de paradoxes, de contradictions... J'en suis là... Il faut dire que ce qui est abordé ici est central : la question du désir. C'est un sujet passionnant et je suis loin de prétendre épuiser ici la question...

On arrive donc à un point de bascule dans les YS. Après avoir fait le constat des différentes causes de modification du mental, il s’agit désormais de rentrer dans une pratique visant à les supprimer. Ceci concerne tous les états mentaux. Pas seulement ceux qui pourraient paraître négatifs tout en préservant celui qui parait positif à des yeux occidentaux (YS7). Non, tous !
Mais pour atteindre cet objectif, Patanjali reconnaît que ce n’est pas chose facile (cela demande un effort soutenu) et que cet effort doit non seulement être intense mais durable, répété et enthousiaste (merci Denis pour l’étymologie de ce mot que je n’avais jamais remarqué, c’est magnifique !).
Ceci concerne la pratique mais Patanjali ajoute le non-attachement et là encore, il est important de noter que la suggestion est non pas de supprimer les objets mais le désir vis-à-vis d’eux, la nuance est d’importance à mon avis (et devrait finalement aboutir à supprimer et les objet et le sujet, mais c'est une autre histoire...).
Je comprends l’étonnement du premier message de Denis : le non-attachement est vue de manière équivalente à une pratique du fait de cette conjonction « et » (YS12). Ils sont mis sur le même plan alors que l’on pourrait voir l’un (le non-attachement) comme la conséquence de l’autre (la pratique).

Alors parlons voiture désormais ;-)

Se libérer du désir des objets vs se libérer des objets

Pour ce faire, une solution apparait en première analyse : rentrer dans un monastère. Pourquoi pas… Mais en poussant davantage la réflexion nous percevons rapidement que si les objets pourraient disparaître de devant nos yeux, ils pourraient revenir en force par la pensée, et peut-être de manière encore plus problématique (sans vouloir polémiquer, la suppression du désir sexuel dans l’église ne semble pas avoir bien fonctionné avec cette méthode…). De plus, sommes-nous prêts à désirer abandonner nos désirs… On voit immédiatement que l’on se met dans une impasse. Désirer abandonner ses désirs est encore paradoxal : le désir d’abandonner ses désirs... est déjà un désir…

La notion de répétition est là. C’est l’idée d’entraînement. De persévérance. En toutes circonstances. Au risque de régresser nous prévient Mithuna. Soit, mais quelle est la bonne dose de pratique, d’entraînement ? Une heure, deux heures, quatre heures par jour ? Et cela de manière régulière. Mithuna apporte des éléments de réponse à cela en parlant des deux volets : la pratique rituelle et la vie quotidiennne. Déjà là, la notion d’effort est questionnée. Plus qu’un effort dans le quotidien, il s’agirait d’un transfert de la pratique rituelle vers le quotidien. La pratique rituelle nous rendant sensible à la manifestation du témoin dans le quotidien. Témoin ayant la bonne idée de se manifester lorsqu'un contenu de conscience aliénant apparaît. Personnellement, j’ai du mal à identifier l’apparition de ce témoin ou plutôt à le distinguer de la petite musique de la morale par exemple et notamment face à cette question du désir. Il est peut-être encore trop « timide »… ? Mais dans un sens, tout cela me questionne : y’a-t-il des moments où je suis vraiment disponible à cette écoute ? Parfois je suis excité par cette rivière du psychisme et refuse de remonter ce courant… comme le suggère Amandine. Je veux participer au monde manifesté, il peut être si beau !

Mithuna nous livre quelques critères qui me paraissent intéressant. La persistance, la récurrence, l’obsession, la préoccupation continuelle sont des signaux d’alarme et signent la présence d’une dépendance problématique. J’ai de mon côté eu la chance d’expérimenter cela par exemple avec la cigarette (notamment). C’est tout à fait comme l’exemple du gâteau de Mithuna. Pendant un temps, j’ai décidé de limiter ma consommation de cigarettes. Je ne fumais plus qu’en rentrant du travail, le soir. Je peux témoigner de la force du désir et de tous les arrangements que je pouvais concéder pour le satisfaire, l’obsession de la pensée liée au moment où enfin je pourrais allumer cette foutue cigarette… Et cette rigueur, cette ascèse n’a fait que renforcer cette addiction… Elle occupait quasiment tout mon espace de pensée…

Je rejoindrai Mithuna dans son raisonnement : finalement, pratique et non-attachement ne sont pas distincts mais plutôt les deux faces d’un même processus.

L’exemple de la Porsche est parlant. Je ne me force pas à me séparer de cette Porsche. Un jour, je m’aperçois que cet objet de désir n’a plus le même attrait que jadis. Le désir tombe comme le fruit mûr d’un arbre. Ce qui n’empêche pas tout un processus précédant la chute de ce fruit, chute apparemment sans effort. Mais l’arbre fait-il vraiment des efforts pour faire mûrir ses fruits ou au contraire laisse-t-il faire « la nature » et donc, l’absence d’un effort ?

Le détachement décrit par le menu n’est finalement pas tant le résultat d’un effort mais d’un désintérêt. En tout cas, pour revenir à mon addiction à la cigarette, celle-ci est tombée un jour alors que j’avais par le passé essayé mille fois de m’en débarrasser, par la force. Précédent ce jour où j’ai arrêté, effectivement, il fut beaucoup question de discrimination à son propos. (Et c'est ici un paradoxe. En un sens, la modification du mental, par le jeu de cette discrimination m'a aidé. Et pourtant, ceste aussi un aspect à éradiquer.) La question du libre-arbitre dont parle Mithuna me parait dès lors moins évidente… J’ai plus l’impression d’avoir agit en amont (par cette discrimination) et que je n’ai pas arrêté. Ça s’est arrêté…

Parfois, je sens une distinction non pas nette mais subtile entre les moments où je suis dans l’effort, dans la résistance et les moments où je ne le suis pas. Une sensation de traction entre la gorge et le plexus solaire se manifeste lorsque je « force », je fais des efforts (dans un sens négatif). Je constate cette présence lorsque je n’accepte pas ce qui se présente devant moi. Et cela concerne un spectre très large de situation. De la relation conflictuelle avec quelqu’un à un objet que je ferai maladroitement tomber. Lorsque je sens cela, ce n'est pas bon signe en général...

L’effort est une notion très délicate. Elle pose l’existence d’un sujet que bon nombre d’approche vise à réfuter. Ma sadhana est-elle un effort ou s’impose-elle d’elle-même ? Denis, tu reviens souvent à Hatha Yoga comme yoga de l’effort… L’idée d’ascèse n’est pas loin ! Le détachement ne devrait pas demander d’effort. L’effort suggère une contraction, une crispation : on ne peut se détacher en resserrant…

Si dans l’effort se trouve du plaisir, la sensation d’accomplir quelque chose de juste, de la joie, est-ce encore un effort ? On a déjà évoqué ici le problème du sens des mots et le mot effort semble trop connoté… Attention, intention ne seraient pas plus « justes » ?

Et puis resterait à définir ce que l’on entend par joie… elle semble plus proche d’une sérénité que d’une forte excitation… Cette dernière, lorsqu’elle retombe entraîne de la souffrance… La joie comme un enthousiasme, c’est encore plus juste avec cette idée que cela provient non pas de moi mais de Dieu en moi… Et sans cette dimension, comment effectuer une sadhana, dans la durée ?

Plutôt que de responsabilité éclairée, je parlerai plutôt d’irresponsabilité éclairée. Je suis pris dans le tourbillon de la vie. J’agis, je ressens, je désire, je rejette, etc. (Qui ?) La pratique du yoga ne change pas directement mes actions, mes ressentis, mes désirs, mes rejets mais m’offre un espace où je (qui ?) peux observer cela (discrimination ?). Par surcroît, parfois, cela se modifie mais ce n’est pas systématique et rarement spéctaculaire. Je vois que certains désirs perdent de leur force mais d’autres non, même s’ils ne me plaisent pas, ils sont bien là et perdurent encore. Là où je rejoins Mithuna c’est qu’il me semble que cette pratique peut éviter de se faire aspirer sans retenue par cette spirale désirante. On « peut » soit y répondre soit ne pas y répondre mais, quoi qu’il en soit, cette discrimination fait perdre un peu de force d’entraînement à ce désir et me permet de noter (discrimination encore ?) que même si j’y réponds, cette satisfaction du désir ne me procurera qu’une satisfaction momentanée. La joie dûe à la satisfaction du désir ne dure pas et tôt ou tard, un autre désir apparaît. Je peux avoir le sentiment d’avoir enfin trouvé que c’était ce qui me manquait pour être heureux mais je sais bien, aujourd’hui, que non, que tout cela est vain, surtout lorsque je parcours rétrospectivement tous les désirs auxquels j’ai accédé en pensant avoir trouvé la solution…

Le désir de s’alimenter, etc. Ne faut-il pas utiliser alors le terme de besoin ?

Et effectivement le désir est toujours présent dans ma vie. C'est constitutif de ma personne (de Bibi !). Même dans ce qui me parait le plus noble, cette fameuse quête spirituelle. Et là aussi, la pratique me donne l’opportunité de jeter un regard sur ce désir, un regard désillusionné… Qu’est-ce que je cherche, qu’est-ce que je veux dans tout cela ? N’est-ce pas une énième et vaine tentative de trouver le bonheur dans des objets extérieurs ? Quelle différence finalement entre chercher le bonheur dans une voiture ou dans une pratique spirituelle ? Dans les deux cas, ne suis-je pas aux prises avec les mêmes mécanismes, les mêmes illlusions ? Ce constat ne m’empêche pas de poursuivre non plus mais m’évite de sombrer dans un emballement démesuré qui entraînera de facto une chute tout aussi démesurée. C’est peut-être là la clef, car parfois la spiritualité peut être aussi obsédante et aléniante si elle n’est pas « observée » de cette façon.

Peut-être comme le suggère Amandine, cette pratique me permet de me désencombrer. Au lieu d’avoir un milliard de désir, je vais en avoir plus que mille… Et donc préserver une part de l’énergie que je dispersais dans le surplus ainsi évacué…
Il s’agit moins de supprimer le désir que de réorienter l’énergie qu’il déploie. C’est il me semble l’option privilégiée par les « tantriques » ?

Pour « terminer » sur ce sujet du désir, je vous propose un petit détour par un sermon de Maître Eckhart, Beati pauperes spiritu, qui traîte, de ce sujet du désir par le biais de cette fameuse phrase « heureux sont les pauvres »… La radicalité de ce texte est fulgurante, le contenu de ce texte absolument incroyable… A lire et à relire... Je cite un court extrait mais l'ensemble du texte, magistral, me semble discuter de notre sujet : « […] aussi longtemps que vous avez encore la soif d’accomplir la volonté de Dieu, et le désir de l’éternité de Dieu, vous n’êtes pas véritablement pauvre, car seul est véritablement pauvre celui qui ne veut rien et ne désire rien. » Nous ne devrions même pas désirer ne pas avoir de désir… même spirituel… Ce texte est extraordinaire, au sens fort et évacue même l’ascétisme finalement...
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Re: Samadhi Pada - Sutra 12 a 15...

Message par Denis » 06 janv. 2025, 16:55

Merci Yo-Guy pour ton long post que je trouve fort intéressant, merci aussi d'être là !
L’exemple de la Porsche est parlant. Je ne me force pas à me séparer de cette Porsche. Un jour, je m’aperçois que cet objet de désir n’a plus le même attrait que jadis. Le désir tombe comme le fruit mûr d’un arbre. Ce qui n’empêche pas tout un processus précédant la chute de ce fruit, chute apparemment sans effort. Mais l’arbre fait-il vraiment des efforts pour faire mûrir ses fruits ou au contraire laisse-t-il faire « la nature » et donc, l’absence d’un effort ?
Oui, absolument, je ne vois là que le jeu de la vie...
Un jour, on désire une chose, on l'a, puis on se lasse, mais surtout, on est amené à avoir d'autres désirs...
On passe ainsi d'une chose à l'autre et même le désir de ne plus avoir de désir est déjà un désir...

J'entrevois dans ton texte, le fait que nous savons tous qu'il existe un état hors de tout ça...
Un état où il n'est point besoin d'effort, point de démarches particulières, un état que parfois, on tangente sans entrer totalement dedans.
On cherche, on perçoit, on espère, il y a pour moi une intention, qui trouve dans chaque instant de ma vie, une attention juste, celle de ne plus trop être soumis à toutes les illusions du monde et de chercher à révéler cet état de réalisation, dans lequel tout est vidé de sens et non maitrisé, ou mise sous cloche...
La pratique du Yoga permet de polir Buddhi qui va permettre à la lumière de l'esprit de venir éclairer ce tas d'os et de sentiments que je suis...
Certes, dans ce chemin, cela a une petite influence sur Bibi, mais il s'illusionne tellement, se perd tellement dans ses croyances, et j'ai tellement expérimenté d'états en tout genre, que je peux dire que je suis revenu toujours dans Bibi. Oui, Bibi, est calme, moins dans la peur, plus dans la paix et la joie, mais il n'est pas encore mort pour se réaliser, il doit renaitre...
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Re: Samadhi Pada - Sutra 12 a 15...

Message par Mithuna » 07 janv. 2025, 20:06

En ce début d'année 2025 je souhaite à tous les participants à ce forum, lecteurs ou rédacteurs dans la dynamique des YS une année emplie d'enthousiasme au sens de ce sutra .
Enthousiasme tout autant dans le cheminement intérieur que dans la vie personnelle et ce au-delà des vicissitudes quotidiennes.

Yo-Guy je te remercie pour partager avec nous le fruit de tes méditations.
Ton exemple de la cigarette concerne un besoin que nous avons laissé instaurer en nous au cours du temps. Ce que tu expliques est précieux car ce type d'addiction s'enracine profondément en nous, dans notre corps et notre système nerveux. J'ai connu pour ma part des pratiquants sincères et engagés conscients de cette dépendance mais incapables de s'en débarrasser.

Si j'essaye de bien comprendre ce que tu nous exposes en le confrontant à mon vécu:
- Dans un premier temps il semblerait que tu aies "vécu" avec cette addiction sans estimer qu'elle risquait de léser profondément et durablement ton équilibre personnel et/ou ta Sadhana. En effet et je retrouve ici le sutra 5 dans ce cas tu pouvais considérer les conséquences qui en découlaient comme "non pénibles" au sens des YS impliquant tout autant ton devenir personnel que spirituel.
- A un moment donné l'apparition d'un "signal" qui peut être extérieur comme la prise de conscience des risques qu'entrainait cette addiction pour ta santé ou une incompatibilité avec la Sadhana (par exemple des difficultés dans le pranayama) ou même intérieur comme une "évidence" dans ou hors de la méditation montra qu'il était nécessaire de réguler voire de cesser cette dépendance. Je parle ici d'évidence car elle est de nature différente des motivations précédentes même si elles en sont le déclencheur.
- A partir de là ta décision a été prise dans un premier temps non d'arrêter brutalement de fumer mais de réguler son emprise en lui assignant un espace et un temps que tu choisis. Tu nous expliques cependant que cette tentative ne fut pas couronnée de succès, du moins par un résultat immédiat. En ce qui me concerne j'ai souvent vécu ce type de méthode consistant non à refouler désirs ou pensées mais à les limiter en les "convoquant" lorsque je le choisissais et non lorsqu'elles cherchaient à s'imposer et pour ma part de façon efficace sur la durée mais il ne s'agissait peut-être pas d'une telle dépendance.
- Ce qui est très intéressant enfin c'est ton " Ça s’est arrêté", non par un effort de la volonté mais peut être comme tu le suggères comme un lien si ce n'est une conséquence directe ou indirecte de la discrimination (sutra 6). De façon un peu mystérieuse la source qui alimentait ce besoin s'est tarie comme peuvent se tarir les sources des "modifications du mental" (YS 1.2).

Je ne peux m'empêcher de faire ici le parallèle avec le "désir spirituel" que j'évoquais vs le "désir aliénant" et les expériences que certains d'entre nous ont vécu et pour lesquelles en tout cas en ce qui me concerne je pourrai dire "Ça est arrivé" pour les plus intenses. J'y vois encore ici une profonde leçon d'humilité entre l'effort durable et répété et son résultat comme insiste souvent Denis dans le fossé qui peut exister entre nos expériences les plus profondes, la délivrance ou la réalisation et l'engagement qui est le nôtre - ce qui ne signifie pas que cet effort n'y ait été étranger.
Pour en revenir à ton succès final, même si tes tentatives volontaires d'arrêter de fumer furent infructueuses, le désir persistant qui les accompagnait a vraisemblablement permis cet arrêt qui est devenu une "évidence" non mentale mais somatique, résultat d'une discrimination plus profonde qu'une simple considération intellectuelle car "on ne ment pas à son corps".
Pour en revenir à la pratique des Ys combien de fois face à une difficulté qui me paraissait insoluble en dépit d'efforts volontaires j'ai accepté de la "relâcher" dans le silence intérieur en "inhibant les modifications du mental" (YS 1.2) ce qui signifie ici me désidentifier jusqu'aux solutions qui me semblaient la résoudre. En ce qui me concerne il y eut toujours une solution même si ce n'était pas forcément ce que j'attendais et aussi parce qu'un tel "relâchement" était précédé d'un désir de me séparer d'un comportement identifié à cet instant comme "douloureux" toujours au sens des YS, ie dangereux personnellement et/ou spirituellement.

Par ailleurs je partage ton admiration pour la profondeur et l'audace de Maître Eckart , bel astre un peu solitaire dans notre firmament spirituel occidental, et en lesquelles je retrouve bien des accents de ce que mon Maître spirituel m'a transmis. À méditer par petites doses et à déconseiller aux amateurs de confort spirituel…..
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amandine
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Re: Samadhi Pada - Sutra 12 a 15...

Message par amandine » 08 janv. 2025, 09:18

Bonjour, une jolie peinture illustrant ascètisme et solitude.
"Jésus lui dit: Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres et viens, suis-moi, tu auras un trésor dans le ciel » (Matthieu 19,21).

Cette voie de détachement est proposée au premier chapitre des Yogasutra pour un certains types de yogi, yogini. Mais au chapître suivant, une autre voie nous sera proposée.
Fichiers joints
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Yo-guy
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Re: Samadhi Pada - Sutra 12 a 15...

Message par Yo-guy » 09 janv. 2025, 13:33

Bonjour à toutes et à tous,
Merci pour vos apports chaleureux, enthousiasmant !

Mithuna, oserai-je te demander de développer quelque peu pratiquement ta "méthode" pour effectuer ce que tu décris ci-dessous, cela m'intéresse vraiment et notamment la manière dont tu "relâches dans le silence" cette difficulté et la façon dont tu reconnais ensuite ce qui pourrait constituer une solution potentielle à la difficulté que tu as soumise au feu de ce silence...
Comme je le disais dans un message précédent, j'ai du mal, dans ma pratique personnelle, à l'utiliser ainsi et à distinguer ce qui pourrait être une suggestion qui surgit du silence d'une "simple" remémoration ou rappel de la "morale issue de ma culture"....
D'avance merci.
.
Mithuna a écrit :
07 janv. 2025, 20:06
Pour en revenir à la pratique des Ys combien de fois face à une difficulté qui me paraissait insoluble en dépit d'efforts volontaires j'ai accepté de la "relâcher" dans le silence intérieur en "inhibant les modifications du mental" (YS 1.2) ce qui signifie ici me désidentifier jusqu'aux solutions qui me semblaient la résoudre. En ce qui me concerne il y eut toujours une solution même si ce n'était pas forcément ce que j'attendais et aussi parce qu'un tel "relâchement" était précédé d'un désir de me séparer d'un comportement identifié à cet instant comme "douloureux" toujours au sens des YS, ie dangereux personnellement et/ou spirituellement.
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Re: Samadhi Pada - Sutra 12 a 15...

Message par Mithuna » 09 janv. 2025, 20:29

Yo-gui,
La base de ma pratique est ce que j'avais décris au Sutra 2 :

Dans mes séances quotidiennes de méditation, je me base sur une pratique courante qui se compose simultanément d'un mantra synchronisé avec la concentration sur le mouvement de la respiration. En revenant au sens premier de pranayama il s'enclenche ainsi une dynamique vertueuse dans laquelle raréfaction des pensées entraîne stabilisation puis raréfaction du souffle qui à son tour entraîne raréfaction des pensées. Il ne s'agit pas ici de méditer sur la signification du mantra ni de rentrer dans un cycle complexe de rétentions. La concentration sur ces mécanismes somatiques et énergétiques permet de rentrer dans une attitude de spectateur des pensées. Lorsque je pars dans l'identification à un flux mental, je reviens tranquillement à la prononciation du mantra qui me permet ainsi de désolidariser ma conscience de ce flux mental. Le mantra agit comme un diapason, un son de cloche lointain résonnant depuis un temple mystérieux qui nous éveille en reléguant dans le silence les autres bruits par son timbre si particulier. Il évite de se laisser emporter par le flux mental et de s'identifier aux pensées qui surgissent. Je ne juge pas, je ne chasse même pas ce flux mental, simplement je le laisse dissoudre dans le silence par l'attention au mantra: c'est la résorption des opérations mentales. Il ne s'agit pas de refouler une pensée, ni même de lutter avec elle : que je pense aux courses à faire, à des contenus plus dérangeants sur le plan émotionnel, ou enfin à des problèmes cruciaux je ne cherche pas à lutter, je laisse simplement mon attention revenir sur le mantra.
Un tel travail peut être parfois déstabilisant. Il constitue parfois à la fois le diagnostic et la thérapie. Souvent réapparaissent dans le champ de ma conscience des pensées ou des émotions qui prennent alors une acuité insoupçonnée : alors même que je me mets en repos intérieur, la pure Conscience s'éveille et les amène à la surface. Il m'arrive alors d'être surpris de leur force : c'est le diagnostic. Puis si j'accepte de m'en détacher, elles quittent le centre de ma conscience, quelle que soit leur importance pour se diluer, c'est la thérapie. Combien de fois face à un contenu mental impératif, ais je du simplement "parier" sur le Témoin, le Maître intérieur, le silence intérieur en lui confiant la résolution de cette difficulté.
Ainsi les pensées se font et se défont comme des nuages dans le ciel et dans le silence intérieur s'éveille le Témoin, la pure Conscience.
Dans le quotidien je ne cherche pas consciemment à m'isoler de mes pensées, mais à les limiter à la concentration sur l'action immédiate. Si ces pensées se condensent et prennent trop d'importance le signal d'alarme en général affectif ou énergétique me rappelle à l'ordre. Cela signifie que je suis en train de m'identifier à une pensée qui veut s'imposer. C'est alors que le fruit de la pratique méditative m'amène successivement à prendre conscience puis à me désolidariser de ce flux mental qui cherche à imposer une direction. C'est par cette mise en pratique que jour après jour s'installe en moi la prise de conscience de la réalité du silence intérieur qui est la porte d'entrée vers ce que révélera le troisième sutra.


Pour répondre maintenant précisément à ta question le terme "relâcher dans le silence" s'explique ainsi pour moi :

Dès que je rentre dans la pratique mentionnée plus haute très souvent apparaissent spontanément soit le ou les soucis dominants du moment (i.e "pénibles" YS 1.5) soit d'autres contenus de conscience qui ont pu être le résultat d'un souvenir ou d'un affect extérieur, la mise œuvre du mouvement d'inhibition des modifications du mental" (YS 1.2) en révélant la prégnance de façon quasi "mécanique" et normale.

A ce niveau si ces contenus de pensée sont peu "douloureux" par exemple l'oubli de telle ou telle contrainte ou contrariété quotidienne ou professionnelle j'en prends conscience sans m'y arrêter en décidant de les reléguer après ma pratique. En général le fait non de les ignorer mais de les prendre en compte ainsi suffit.

Il en va autrement pour des contenus de conscience fortement impactants, qu'il s'agisse de décision importante, de "blessure" émotionnelle justifiée ou non (ce point est important car le traitement est identique), de désir ou même de problème grave professionnel, privé ou même de santé : si un ouragan se lève, il n'est pas question de l'ignorer.

Alors je m'efforce de pratiquer ce que j'exposais au sutra 13. Toute la difficulté étant de ne pas chercher à lutter contre le "train de pensées" qui m'assaille, sans pour autant rentrer dans une sorte de rêve éveillé dans lequel il me possède. A ce moment s'esquisse comme une sorte de "dédoublement de la conscience" : en même temps qu'une partie de moi reste embarquée dans ce vaisseau, une autre partie insensiblement s'éveille : ce que je nomme le "silence" non comme un état vide et stérile mais comme une vibration, la "cloche résonnant dans la profondeur du temple" , une Présence qui peut sembler insignifiante comparée au vacarme des flux de conscience qui m'assaillent, mais d'une grande puissance car voisine de ce que le sutra suivant 16 nommera "l'intuition du Soi", s'infiltrant dans de minuscules espaces "entre deux pensées" elle dévoile une autre Réalité, d'une toute autre nature que la mécanique implacable des "trains de conscience".

Il est essentiel de ne pas se juger comme tu sembles le craindre : "J'en suis encore là!" ou "ma sadhana a été un échec : ces affects me dominent!" : en faisant ainsi nous sommes dans "une double peine", la culpabilité surenchérissant sur le constat et augmentant son emprise, pouvant conduire à une sorte de "à quoi bon tout ça". Si cette apparition est ainsi violente et "captivante" qu'elle réponde à un événement présent ou à une réminiscence passée, elle fait partie intégrante de moi tel que je suis à cet instant présent comme le sont mes désirs et concerne tout autant mon travail que la plénitude qui peut en résulter. Même si pendant toute la durée de ma pratique mes efforts pour "quitter le train" semblent inefficaces, quelques instants de prise de conscience que je n'en suis qu'un passager temporaire sont déjà une victoire significative.

Ainsi "Relâcher dans le silence" n'est par refouler ou lutter frontalement avec ce flux de conscience mais "laisser ce train partir vers l'horizon" . Si accepter de considérer ainsi de tels phénomènes n'est pas évident, une telle attitude se fortifiera dans la pratique.

Un autre aspect d'une telle pratique est que même si cela peut sembler pénible à ce niveau il ne faut pas chercher à résoudre de façon personnelle cette difficulté, ou du moins pas pendant le temps de cette pratique. Ce que je veux dire ici c'est que lorsqu'un problème est trop douloureux nous cherchons de façon naturelle une solution, ce qui est parfaitement légitime mais souvent une sorte de compromis qui ne prend pas en compte toute son ampleur ou notre dynamique de transformation. Dans le contexte de cette pratique cette solution sera elle aussi une partie du train, un contenu de conscience sans rapport avec le travail de "relâchement" qui consiste à se "désolidariser" du problème lui-même et de son contexte sans pour autant l'ignorer. Nous resterons cependant libres d'appliquer cette solution, mais il est possible que la méditation nous en révéle ses implications.

Ce faisant c'est ici que je parle - ce qui est différent - "d'une solution même si ce n'était pas forcément ce que j'attendais" car dans ce cas une nouvelle "perspective" s'est ouverte pendant ma méditation ou parfois après, différente de ma logique personnelle. Dans d'autres cas le "silence intérieur" s'est manifesté par une sorte "d'accusé de réception" m'informant soit que le problème était mal posé, soit qu'il n'était pas temps d'en chercher à tout prix une solution, qui viendrait à son heure. Dans ce cas il ne s'agit aucunement de le refouler mais de rester conscient que d'autres éléments, qu'ils proviennent de la modification de notre environnement et/ou de notre prise de conscience viendront mais aussi de ne pas surenchérir en revenant à la solution ancienne : il faut alors "jouer le jeu" en sachant que la clé demeure le changement intérieur, fruit de notre pratique.

En ce qui me concerne ce "relâchement" correspond souvent à une "descente" somatique qui est non une action volontaire mais bien un "lâcher prise "de ma conscience depuis le haut de mon corps vers le Bas ventre, moins un lieu physique qu'un espace intérieur , le "Chaudron" des textes chinois, le "Hara" qui donne résilience et stabilité et une "montée" simultanée du silence intérieur résidant ici (mais ceci m'est peut-être propre). Le silence mental et somatique m'accueille et "s'éveille" au sein de la tempête. Différemment exprimé c'est un "retour" vers le centre, centre non seulement psychique mais énergétique et somatique, le silence étant un réel mouvement de retour.

Yo Guy je ne sais pas si je réponds à ta question : je te remercie d'aborder ce sujet si important, de ce qui peut nous sembler un élément dérangeant et distinct de notre pratique mais qui en réalité en est partie intégrante. D'une certaine manière je dirai ici qu'il ne faut "rien lâcher" c’est-à-dire ne pas établir d'étanchéité entre notre quotidien, nos soucis, nos désirs et nos craintes et notre engagement, ce qui signifie cependant "préserver" notre "temple intérieur", la "Demeure du SOI" (YS 1.3) justement en restant conscient des "trains de pensée". Ce n'est pas toujours facile mais pour ma part j'ai acquis la certitude que si le but auquel nous aspirons est sans commune mesure avec cet engagement, à l'inverse tout "arrangement entre amis" visant à ignorer ces aspects ne nous avancera guère.
Yo-guy
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Re: Samadhi Pada - Sutra 12 a 15...

Message par Yo-guy » 09 janv. 2025, 23:26

Merci infiniment Mithuna d'avoir pris le temps d'écrire tout cela et de rappeler les différents éléments que tu avais déjà livrés auparavant.
C'est tout à fait pertinent et en réponse à ma question.
Et, je crois, aussi précis qu'il est possible de le faire avec des mots.
Je vais explorer tout cela.
Encore merci.
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amandine
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Re: Samadhi Pada - Sutra 12 a 15...

Message par amandine » 11 janv. 2025, 23:18

Après avoir cité Jésus l'autre jour, maintenant quelques vers de Lalla, poétesse ascète et sainte du Cachemire, du XIVe s (environs 800 à 900 après l'écriture des yogasutra ) au sujet du renoncement:

"J’ai brûlé les impuretés du coeur.
J’ai tué le désir.
Lalla, mon nom, ne brilla
Que lorsque j’eus renoncé à tout.
M’éveillant à l’aurore
J’ai mis au pas le mental sans repos.
Endurant la douleur,
Je me suis consacrée à Dieu.
Disant « Je suis Lalla, je suis Lalla, »
J’ai éveillé mon aimé.
Devenant un avec lui,
J’ai purifié mon mental et mon corps. "

Les mots de Lalla sont d'une force et d'une vivacité qui montrent un chemin.
Merci pour votre conversation.
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Re: Samadhi Pada - Sutra 12 a 15...

Message par Denis » 12 janv. 2025, 00:11

Ha Lalla, elle sait trouver les mots justes, j'aime beaucoup !

"J'ai fermé les portes et les volets de mon corps,
J'ai saisi le souffle comme on saisit un voleur dans sa propre maison,
Je l'ai fermement attaché en mon coeur et là,
je l'ai flagellé avec le fouet du OM"

Merci !
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