Vision d'ensemble de Jean Papin dans "La voie du Yoga"
Posté : 10 oct. 2014, 20:04
Le Yoga Darshana ne cherche pas à résoudre le problème de la création par des voies intellectuelles. Sans l’ignorer, il semble plutôt se désintéresser de la doctrine au profit d’une solution “expérimentale”, car pour lui la question trouve naturellement une réponse dans le résultat final de la pratique yogique qui est l’acquisition du statut du “libéré-vivant “, le Jivanmukta (chap IX).
Le Sâmkhya a élaboré la théorie des tattva expliquant le monde et sa constitution subtile et grossière. Mais, en intime imbrication avec la cosmogonie, la doctrine situe aussi l’expérience de l’humain et du vivant.
Dans le contexte indien, Patanjali la suppose connue et assimilée. Il s’y réfère tout au long de l’ouvrage, mais ne s’y attarde pas. Il nous importe cependant de la bien comprendre pour saisir toute la portée du Yoga (et des différentes formes qu’il a pu prendre) dont la démarche consiste à provoquer en l’homme la conversion, le retournement qui est mouvement inverse et rebroussement des chemins parcourus par la manifestation pour parvenir à son origine, au germe ultime.
Il est également nécessaire de considérer l’évolution de cette théorie qui s’est précisé et enrichie dans les Tantra et les Âgama shivaïtes postérieurs.
Dans le processus de la création, l’ignorance de la vraie nature de l’Esprit (avidyâ), voilant la réalité, apparaît avec la naissance du sentiment d’altérité, lorsque le Moi, de plus en plus individualisé, lourd de cette conscience maintenant limitée, ressent la séparation et est confronté aux phénomènes et à la diversité du monde extérieur. Le “désir de vivre” aboutit obligatoirement à une dualité déterminant l’existence du fini, avec son corollaire immédiat, la souffrance.
Le Yoga propose le retour à la pureté originelle, mais cette fois, révélée par le mental (manas) et dont il convient d’arrêter les mouvements jusqu’à brûler les traces des imprégnations passées (samskâra et vâsana) qui le condamnent à l’obscurité, à la ronde incessante des morts et des naissances.
Il résout la dualité subie en unité reconquise.
Le Yoga Darshana a repris la doctrine des Tattva sans modifier les articulations proposées par le Sâmkhya et concernant la conscience incarnée, de Prakrti à sa plus grossière et dernière émanation, Prthivî l’élément terre. Mais là où le Sâmkhya ne définit l’intuition de l’être (Purusa) que sous l’aspect général de son homogénéité et de son autonomie vis-à-vis de la différentiation qui se produit à partir de la Nature (Prakrti), Patanja1i, bien qu’il reconnaisse cette rupture (Y.S.II. 17. et 1.3), fait un pas de plus, et décisif. Ne considérant plus le Purusa seulement comme une masse de conscience indifférenciée, il y décèle des modalités intemporelles plus subtiles auxquelles peut accéder l’homme par la pratique d’une ascèse spécifique.
Le système yoga, à l’encontre du Samkhya qui se suffisait de la connaissance par simple spéculation métaphysique, va préciser les différents plans supérieurs de la conscience que le chercheur est amené à découvrir sur son itinéraire spirituel. Ainsi, à la notion du Purusa s’ajoute d’abord celle d’Isvara, “Seigneur et penseur du Monde”, associé à la causalité et déjà considéré comme divinité personnelle, bien que transcendant. Les écoles tantriques vont encore affiner cette notion en distinguant douze degrés, allant du Purusa au couple inséparable Shiva-Shakti; (Souvent d’ailleurs le terme Purusa change de signification selon qu’il représente un tout ou seulement une partie de ce tout).
Elles aboutiront à un système complexe, mais extrêmement satisfaisant, à la fois dans la perspective du yoga et dans celle de l’explication de l’univers.
Sans vouloir orienter le Yoga Darshana dans cette direction, c’est elle que nous explorerons plus volontiers puisqu’elle reprend les éléments anciens en les complétant avantageusement et sans modifier le résultat pratique. Rien ne s’y oppose et rien n’autorise non plus à croire que Patanjali, bien qu’il ne la mentionne pas, ignore ou désavoue cette hiérarchie, même si les Tantra ne l’ont codifié qu’à posteriori. Dès l’instant où l’on admet la notion générale d’Îshvara, la subdivision de ce concept ne présente pas un caractère d’hérésie.
Le Sâmkhya énumère 25 tattva. Les tantra se sont arrêtés au nombre canonique de 36, divisés en tattva purs (shuddha tattva) de Shiva à Îshvara; purs-impurs (shuddhâshuddha tattva) de Mâyâ au Purusa, considéré alors comme conscience en tant que Principe spirituel en chaque homme; impurs (ashuddha tattva) de Prakriti considérée comme substance et énergie présente en chaque être, à Prthivî, la terre.
La doctrine sâmkhyenne est reprise intégralement, et elle supporte très bien l’adjonction du Yoga Darshana et des tantra, elle ne perd rien, mais au contraire y gagne un approfondissement.
Les catégories de la Manifestation sont dites pures, semi pures et impures ; il est important de rappeler que l’impureté ne présente ici aucune coloration morale, ni ne se réfère à une quelconque notion de péché ou de faute originelle dans un sens biblique ; une telle interprétation serait contraire à tous les modes de pensée indiens. Il s’agit de rendre l’expression de la dualité et de la relativité de l’univers créé et des états de développements où subsiste la confrontation d’objet et de sujet. Tout ce qui tend à sortir de l’unité, à se fragmenter, et par conséquent à engendrer un conflit, est impur. Le péché, dans les religions sémitiques implique l’accident, la chute, le détournement d’une conduite parfaite par une intelligence pervertie. Pour les Hindous, le développement de l’hétérogénéité s’organise selon un schéma inscrit dans le Principe. Le hasard n’existe pas. L’homme nomme hasard ou aléatoire ce qu’il ne comprend pas ou ne peut expliquer. Seule l’ignorance empêche la connaissance directe. Chacun peut y accéder par le yoga. Là se situe notre libre arbitre. Mais ne doutons pas que ce libre arbitre lui-même soit inscrit également dans les séquences du Karman. Ne concluons pas sottement au fatalisme pour cacher notre méconnaissance de la complexité et de la perpétuelle transmutation des fonctions de ce devenir auquel nous participons, et que nous influençons en qualité d’observateur. La fatalité désigne ce qui est arrêté d’avance et vous tombe dessus. Le mot contient encore l’idée de chute, donc de péché.
Notre incapacité à saisir l’enchevêtrement des causes et des effets nous incite à la solution de facilité qui consiste à subir ces effets en leur attribuant une origine extérieure et incertaine.
Le yoga donne le moyen de connaître les relations les plus lointaines et de déchiffrer le message.
Il enseigne qu’il est possible de parvenir à la liberté complète, à l’émancipation par rapport au monde, grâce au non-attachement, au contrôle de soi et à la vigilance permanente.
Lorsqu’on parvient à l’impeccabilité des actes et des pensées, on supprime leurs fruits et le Karman s’épuise. L’homme participe alors au jeu divin de la création (Lîlâ) qui n’engendre plus de douleur puisque les contradictions sont abolies.
De surcroît, il libère un fragment de cette conscience limitée par l’ignorance, en atteignant le niveau des Tattva purs.
Si l’impureté n’est donc pas un défaut, la pureté dans ce domaine n’est pas plus une qualité. Elle désigne un état inchangé, sans modifications. Bien qu’il soit divisé en degrés, par commodité d’expression, ce groupe de Tattva purs ne subit pas la loi de causalité et se situe dans un temps unique. En effet l’Absolu, le Brahman, étant la permanence elle-même, ne peut être appréhendé à l’issue d’une démarche temporelle. C’est pourquoi l’expérience complète des Tattva purs est désignée sous le terme général de Parasamvid, la connaissance suprême, les englobant à la fois tous et restant au-delà (svarûpa, établie en soi-même) Cet “état” est le Présent, le Satcitânanda (existence-connaissance-béatitude) ou l’indifférencié et le différencié jouissent totalement de leur unité.
Sans entrer dans le détail des textes, nous tenterons de résumer comment s’articulent, s’interpénètrent et se développent ces potentialités jusqu’à l’aboutissement physique le plus compact et l’accomplissement mental le plus déterminé.
Dans cette opération nous devrons toujours tenir compte de la présence de “l’observateur” qui n’est pas étranger au déroulement du discours et est impliqué continuellement dans les évènements puisqu’il les décrit.
Cette tentative de compréhension n’est donc pas strictement intellectuelle; elle s’apparente à un exercice de décodage auquel le rédacteur et le lecteur participent.
Il sera, de plus, bénéfique de se dégager quelque peu de l’étroitesse des postulats occidentaux classiques, d’oublier le Positivisme et un certain Rationalisme éreintant.
Le Sâmkhya a élaboré la théorie des tattva expliquant le monde et sa constitution subtile et grossière. Mais, en intime imbrication avec la cosmogonie, la doctrine situe aussi l’expérience de l’humain et du vivant.
Dans le contexte indien, Patanjali la suppose connue et assimilée. Il s’y réfère tout au long de l’ouvrage, mais ne s’y attarde pas. Il nous importe cependant de la bien comprendre pour saisir toute la portée du Yoga (et des différentes formes qu’il a pu prendre) dont la démarche consiste à provoquer en l’homme la conversion, le retournement qui est mouvement inverse et rebroussement des chemins parcourus par la manifestation pour parvenir à son origine, au germe ultime.
Il est également nécessaire de considérer l’évolution de cette théorie qui s’est précisé et enrichie dans les Tantra et les Âgama shivaïtes postérieurs.
Dans le processus de la création, l’ignorance de la vraie nature de l’Esprit (avidyâ), voilant la réalité, apparaît avec la naissance du sentiment d’altérité, lorsque le Moi, de plus en plus individualisé, lourd de cette conscience maintenant limitée, ressent la séparation et est confronté aux phénomènes et à la diversité du monde extérieur. Le “désir de vivre” aboutit obligatoirement à une dualité déterminant l’existence du fini, avec son corollaire immédiat, la souffrance.
Le Yoga propose le retour à la pureté originelle, mais cette fois, révélée par le mental (manas) et dont il convient d’arrêter les mouvements jusqu’à brûler les traces des imprégnations passées (samskâra et vâsana) qui le condamnent à l’obscurité, à la ronde incessante des morts et des naissances.
Il résout la dualité subie en unité reconquise.
Le Yoga Darshana a repris la doctrine des Tattva sans modifier les articulations proposées par le Sâmkhya et concernant la conscience incarnée, de Prakrti à sa plus grossière et dernière émanation, Prthivî l’élément terre. Mais là où le Sâmkhya ne définit l’intuition de l’être (Purusa) que sous l’aspect général de son homogénéité et de son autonomie vis-à-vis de la différentiation qui se produit à partir de la Nature (Prakrti), Patanja1i, bien qu’il reconnaisse cette rupture (Y.S.II. 17. et 1.3), fait un pas de plus, et décisif. Ne considérant plus le Purusa seulement comme une masse de conscience indifférenciée, il y décèle des modalités intemporelles plus subtiles auxquelles peut accéder l’homme par la pratique d’une ascèse spécifique.
Le système yoga, à l’encontre du Samkhya qui se suffisait de la connaissance par simple spéculation métaphysique, va préciser les différents plans supérieurs de la conscience que le chercheur est amené à découvrir sur son itinéraire spirituel. Ainsi, à la notion du Purusa s’ajoute d’abord celle d’Isvara, “Seigneur et penseur du Monde”, associé à la causalité et déjà considéré comme divinité personnelle, bien que transcendant. Les écoles tantriques vont encore affiner cette notion en distinguant douze degrés, allant du Purusa au couple inséparable Shiva-Shakti; (Souvent d’ailleurs le terme Purusa change de signification selon qu’il représente un tout ou seulement une partie de ce tout).
Elles aboutiront à un système complexe, mais extrêmement satisfaisant, à la fois dans la perspective du yoga et dans celle de l’explication de l’univers.
Sans vouloir orienter le Yoga Darshana dans cette direction, c’est elle que nous explorerons plus volontiers puisqu’elle reprend les éléments anciens en les complétant avantageusement et sans modifier le résultat pratique. Rien ne s’y oppose et rien n’autorise non plus à croire que Patanjali, bien qu’il ne la mentionne pas, ignore ou désavoue cette hiérarchie, même si les Tantra ne l’ont codifié qu’à posteriori. Dès l’instant où l’on admet la notion générale d’Îshvara, la subdivision de ce concept ne présente pas un caractère d’hérésie.
Le Sâmkhya énumère 25 tattva. Les tantra se sont arrêtés au nombre canonique de 36, divisés en tattva purs (shuddha tattva) de Shiva à Îshvara; purs-impurs (shuddhâshuddha tattva) de Mâyâ au Purusa, considéré alors comme conscience en tant que Principe spirituel en chaque homme; impurs (ashuddha tattva) de Prakriti considérée comme substance et énergie présente en chaque être, à Prthivî, la terre.
La doctrine sâmkhyenne est reprise intégralement, et elle supporte très bien l’adjonction du Yoga Darshana et des tantra, elle ne perd rien, mais au contraire y gagne un approfondissement.
Les catégories de la Manifestation sont dites pures, semi pures et impures ; il est important de rappeler que l’impureté ne présente ici aucune coloration morale, ni ne se réfère à une quelconque notion de péché ou de faute originelle dans un sens biblique ; une telle interprétation serait contraire à tous les modes de pensée indiens. Il s’agit de rendre l’expression de la dualité et de la relativité de l’univers créé et des états de développements où subsiste la confrontation d’objet et de sujet. Tout ce qui tend à sortir de l’unité, à se fragmenter, et par conséquent à engendrer un conflit, est impur. Le péché, dans les religions sémitiques implique l’accident, la chute, le détournement d’une conduite parfaite par une intelligence pervertie. Pour les Hindous, le développement de l’hétérogénéité s’organise selon un schéma inscrit dans le Principe. Le hasard n’existe pas. L’homme nomme hasard ou aléatoire ce qu’il ne comprend pas ou ne peut expliquer. Seule l’ignorance empêche la connaissance directe. Chacun peut y accéder par le yoga. Là se situe notre libre arbitre. Mais ne doutons pas que ce libre arbitre lui-même soit inscrit également dans les séquences du Karman. Ne concluons pas sottement au fatalisme pour cacher notre méconnaissance de la complexité et de la perpétuelle transmutation des fonctions de ce devenir auquel nous participons, et que nous influençons en qualité d’observateur. La fatalité désigne ce qui est arrêté d’avance et vous tombe dessus. Le mot contient encore l’idée de chute, donc de péché.
Notre incapacité à saisir l’enchevêtrement des causes et des effets nous incite à la solution de facilité qui consiste à subir ces effets en leur attribuant une origine extérieure et incertaine.
Le yoga donne le moyen de connaître les relations les plus lointaines et de déchiffrer le message.
Il enseigne qu’il est possible de parvenir à la liberté complète, à l’émancipation par rapport au monde, grâce au non-attachement, au contrôle de soi et à la vigilance permanente.
Lorsqu’on parvient à l’impeccabilité des actes et des pensées, on supprime leurs fruits et le Karman s’épuise. L’homme participe alors au jeu divin de la création (Lîlâ) qui n’engendre plus de douleur puisque les contradictions sont abolies.
De surcroît, il libère un fragment de cette conscience limitée par l’ignorance, en atteignant le niveau des Tattva purs.
Si l’impureté n’est donc pas un défaut, la pureté dans ce domaine n’est pas plus une qualité. Elle désigne un état inchangé, sans modifications. Bien qu’il soit divisé en degrés, par commodité d’expression, ce groupe de Tattva purs ne subit pas la loi de causalité et se situe dans un temps unique. En effet l’Absolu, le Brahman, étant la permanence elle-même, ne peut être appréhendé à l’issue d’une démarche temporelle. C’est pourquoi l’expérience complète des Tattva purs est désignée sous le terme général de Parasamvid, la connaissance suprême, les englobant à la fois tous et restant au-delà (svarûpa, établie en soi-même) Cet “état” est le Présent, le Satcitânanda (existence-connaissance-béatitude) ou l’indifférencié et le différencié jouissent totalement de leur unité.
Sans entrer dans le détail des textes, nous tenterons de résumer comment s’articulent, s’interpénètrent et se développent ces potentialités jusqu’à l’aboutissement physique le plus compact et l’accomplissement mental le plus déterminé.
Dans cette opération nous devrons toujours tenir compte de la présence de “l’observateur” qui n’est pas étranger au déroulement du discours et est impliqué continuellement dans les évènements puisqu’il les décrit.
Cette tentative de compréhension n’est donc pas strictement intellectuelle; elle s’apparente à un exercice de décodage auquel le rédacteur et le lecteur participent.
Il sera, de plus, bénéfique de se dégager quelque peu de l’étroitesse des postulats occidentaux classiques, d’oublier le Positivisme et un certain Rationalisme éreintant.