J'ai envie de partager avec vous une petite partie d'un tout petit livre magnifique de Lizelle Reymond edition Derain 1951...
Le titre est SHAKTI ou l'expérience Spirituelle :
Sur le chemin de la méditation, il y a des haltes bien faisantes qui sont précisément ce silence de grâce. Ce silence a des qualités duelles. Shri Aurobindo en parle volontiers. C’est l’instant où la vague montante de l’aspiration vers Dieu rencontre la vague descendante. Mais ce moment de silence est généralement rompu par la peur du disciple. Celle-ci est provoquée par la perception des aspects positifs et négatifs qui jouent ensemble dans le silence que l’on croyait être statique. Plus tard, sans que la qualité du silence ait encore changé, l’angoisse devient que ce silence cesse ! En fait ce qui est « après » le silence est l’inconnu dans lequel on n’ose pas s’aventurer. Lâcher ce que l’on tient sans savoir ce qui va se passer est de l’héroïsme ! Et puis chaque retour dans la vie, après avoir goûté à ce silence, nécessite un ajustement...
Tous les saints ont parlé en détail de leur pèlerinage de château d’âme en château d’âme, tout comme les pèlerins qui grimpent vers le Tibet jusqu’à la demeure de Shiva au Mont Kailas vivent de dépouillements successifs. Sur la route ardue, il faut que ce point de silence créateur soit constamment renouvelé.
Ce silence est le résultat d’un exercice difficile et facilement irritant, de concentration prolongée. Pour y arriver la concentration sur un point donné est tout simplement la discipline qui fait passer un chameau par le trou d’une aiguille. Ce n’est pas aisé. L’obstination d’obéir en dépit de mille tentations, un sens de loyauté, un désir de purification éclairent la période de renoncement secrète. Sur mon front la main de mon gourou a étendu les cendres sacrées du don de soi. Descendre en. Soi-même... et toucher les cendres de sa propre vie... » Mais cette cendre argentée n’est pas la Mort. Il faut le découvrir soi-même dans la grâce d’une révélation. Elle est sur la terre l’enveloppe qui la réchauffe, elle est un satin pâle qui réfléchit les premiers rayons du soleil, elle est si légère que l’eau la porte. Elle est facilement éparpillée par le souffle des lèvres ce souffle qui dans l’espace très court entre deux respirations, saisit le silence créateur. Cette cendre argentée est aussi le vêtement dont Shiva s’orne pour entrer dans le jeu de la vie et danser avec du feu dans ses mains. La mort que la cendre symbolise est véritablement la naissance dans un élément plus subtil que la matière.
Le silence de Shakti demeure dans les Himalaya. La tradition l’affirme. Des sâdhus et des ermites y vivent volontiers en solitaires pour l’absorber. Leur vie reste un mystère tramé de faits surnaturels.
L’attrait de ce silence est si puissant que nombreux sont les gens des plaines qui vivent dans l’espoir d’un pèlerinage, car il est des temples des montagnes où le voile se déchire, et d’où l’on emporte une fugace vision qui remplit toute votre vie de béatitude.
Ce silence exerce une indéniable attraction par la contradiction même qu’il comporte. Tous les sages affirment qu’il est une plénitude à côté de la vie qui laisse derrière elle une saveur amère. Mais c’est comme dire " Une coupe vide te rassasiera plus qu’une coupe pleine ". De là vient l’aspiration de fuir les vagues des impressions passées qui nous portent pour aller vers ce silence qui est plénitude.
On désire quitter les plaines avec tous leurs raffinements d’une vie facile, leur luxe et leurs arts pour aller vers la vie fruste des montagnards, où l’art est encore celui de la nature, l’amour celui de la terre et du ciel. Tout homme qui gouverne sa famille en dictateur aime à méditer sur la cendre et le chignon tressé des sâdhus mendiants. Il vit un rôle et parle de l’autre comme longtemps le sâdhu dans son austérité vécue pensera encore à l’autre. Ces contrastes sont dans le silence duel qui émaille la route de haltes plus ou moins longues, de moments de réalisation.
Pour celui qui est en route, ces moments de réalisation sont la grâce parfaite, comme pour chaque disciple son gourou est l’Absolu. Il faut, par ces réalisations partielles, affermir sa vision selon une échelle de valeurs que l’on connait bien et auxquelles on peut se fier. C’est dans cette sécurité que se construit un nouvel entendement où tour à tour l’être cherche son expansion. Des pouvoirs viennent et passent, des affirmations et des négations surgissent et meurent dans l’abîme du silence.
Après une vie de travail, on aspire à ce tête-à-tête avec soi-même. C’est devenir amoureux de la mort comme on l’a été de la vie, c’est entrer en Shakti et être, en elle, tous les deux à la fois. Certains répètent volontiers le dicton " Dans les Himalaya il n’est pas nécessaire de croire à quoi que ce soit. Vous pouvez être un agnostique, un révolté, la terre du Seigneur Shiva priera à votre place et vous conduira au But !"
Et c’est vrai que les montagnes sont vivantes !
Elles continuent à s’élever chaque année de plus d’un centimètre vers le ciel, secouant quelquefois violemment leurs masses de granit et de schistes !
Certains pèlerins y viennent avec un but précis de réalisation spirituelle à atteindre dans un temps fixé. Tel zemindar .qui jusqu’à cinquante ans, a amassé titres de propriétés et lingots d’or s’arrête pour se donner à Dieu avec la même intensité avec laquelle il s’est enrichi !
Shri Sâradâ Devi, avec son bon sens de femme très près de la terre, dit un jour à l’un de ses fidèles
« Crois-tu, mon fils, que Dieu puisse s’acheter comme un poisson au marché »
Celui qui entre dans ce silence duel de Shakti est comme la graine de moutarde entre les meules de pierre qui la broient pour en faire de l’huile. Il faudra encore, par la suite, un lent procédé de purification. Cette purification est plus ou moins consciente. Le fidèle vit dans l’obéissance qu’il accepte où sa pensée et son corps, ses mouvements, sont en relation directe avec son gourou. Il se réfugie dans l’orthodoxie d’une discipline personnelle ou dans l’orthodoxie des lois de sa caste dont il connaît exactement les prérogatives.et les limitations.
S’il n’a pas de groupe spirituel pour le contenir et l’appuyer, il s’en crée un par la loi qu’il s’impose ou par la vie qu’il choisit. Innombrables sont les formes ordonnées par Shakti. Le sannyâsin, qui est la définition même de l’être antisocial, n’a pas une discipline moins stricte, cette soumission est si impérative et nécessaire pour goûter la suprême liberté de l’âme que même des Chrétiens attirés par l’une ou l’autre forme de l’Hindouisme deviennent plus orthodoxes que les brahmanes les plus austères. C’est évidemment une des règles de la vie spirituelle. Rares sont les âmes libérées qui ne cherchent plus rien, qui vivent tout simplement et joyeusement.