deux et finalement trois bindu

Tantrisme ...
Un mot usité de partout, mis à toutes les sauces. Venez nous parler de vos expériences et idées sur cette voie.

Modérateur : Modérateurs

Répondre
kavi
Messages : 328
Enregistré le : 26 juil. 2005, 22:24
Localisation : sur une chaise devant un ordinateur

deux et finalement trois bindu

Message par kavi » 17 juin 2013, 01:39

Kinaram a écrit :Salut Kavi!

Je n'avais pas noté que la notion de Kâmakalâvilasa eut un quelconque rapport avec la sexualité...Tu pourrais développer?

Je ne sais pas pourquoi tu persistes à voir de l'embryologie dans le symbolisme tantrique, comme le font beaucoup d'académiciens. Mais je reste ouvert, surtout que l'embryologie m'intéresse en tant qu'étudiant en Ayurvéda.
Avant que cette question ne tombe complètement dans les oubliettes estivales, je vais tâcher d’y répondre, même de manière trop succincte.
Pourquoi voir de l’embryologie dans le symbolisme tantrique ? Tout d’abord, il ne s’agit pas tant d’embryologie que d’un substrat matériel, d’une expérience commune évidente qui peut ensuite donner lieu à un symbolisme élaboré et à des perceptions subtiles. Cette position ne tient pas tant à celle d’universitaires qu’à ce qui a pu m’être dit et que j’ai tenté de comprendre et expérimenter de manière certes fragmentaire et incertaine.
A savoir, que le tantrisme (et des parallèles peuvent être vraisemblablement tracés avec le taoïsme) est issu de lectures du monde chamanique et animique. Que l’on peut entendre le kula à l’origine comme littéralement un clan, les dieux et déesses, des membres de cette famille. Śiva et śakti sont le père et la mère avant toute chose, m’a-t-on dit. Nos parents. Qui circonscrivent en partie notre propre maṇḍala ou sont inscrits nos vasanas.
L’embryologie. Dans l’aṣṭāṅga hṛdayam, l’embryon est dit venir de l’union entre śukra (sperme) et ārtava (menstrues), puisque l’on pensait à l’époque que c’était ces deux composants qui concourraient à la procréation. L’un blanc, lunaire, l’autre rouge, solaire. Deux bindu.
Dans le Kāmakalāvilāsa de Puṇyānandanātha, il est dit que les deux bindus, rouge et blanc (vak et artha, les signifiant et signifié saussuriens !) jouent ensemble, s’étendant et se contractant, fusionnant dans le bindu-mélangé, soleil qui donne naissance au monde. Les deux bindus sont les lettres A et Ha, leur mélange est Aham, nouvelle individuation.
Comme toujours, de nombreuses grilles de lectures peuvent être appliquées sur ce schéma, en fonction des lignées, des buts poursuivis. Mais à la base, on peut le relier à un phénomène naturel commun, toujours digne d’émerveillement et qui a pu directement engendrer ce symbolisme : la rencontre du deux qui devient un et récapitule le mouvement évolutif. La phylogenèse ne fait certes pas partie du programme d’étude de l’ayurveda mais l’intuition est là.
On peut bien entendu lire autre chose dans le Kāmakalāvilāsa, y développer de savantes abstractions et des interprétations liées à la physiologie subtile, mais cela n’exclut peut-être pas ces racines de glaise. Ce sont pour moi des poteaux indicateurs sur une route que je ne me hasarderais par à cartographier.
A suivre, au gré des moments propices…
kinaram

Re: deux et finalement trois bindu

Message par kinaram » 19 juin 2013, 10:48

Merci Kavi pour ces explications. :)

On a tendance à croire que l'interprétation abstraite de la symbologie tantrique est souvent le fait d'intellectuels pudibonds. Car les représentants de l'école Samaya qui étaient des intellectuels surtout, ont fait la guerre à un moment contre les dérives de l'interprétation littérale...

Dans les faits, çà ne se passe plus vraiment comme çà en Inde. Il n'y a pas de dogmes, chacun conçoit le tantra à sa manière bien qu'il existe des approches canoniques, çà n'est pas comme en occident où l'on a l'habitude d'un dogme rigide et stable dans le temps...

Je peux t'assurer que certains yogi "intériorisés" en Inde ne sont pas du tout des bourgeois offusqués par le sexe...Ce sont des êtres qui vivent dans un niveau de réalité différent du sens commun. Et la glaise, ils connaissent, tout autant que l'or. Il est des niveaux de réalité où tout est d'or. D'autres où tout n'est que glaise et l'or est ailleurs. D'autres enfin où la glaise rappellent l'or. Quel est ton ici? Quel est ton ailleurs?

La glaise est notre corps avant que Dieu ne nous insuffle son esprit vivant. Sommes-nous esprit? Sommes nous corps? P'tet un peu des deux? Il faut savoir!!!! Il faut expérimenter.

Donc que nos parents soient nos premières images de Shiva et de Shakti, ok. Et que la fécondation soit la marque de l'union entre les bindu physiques, c'est aussi évident. J'avais lu également que l'on concevait la semence reproductrice "rouge" chez la femme dans son sang.

Kamalakala est dans la sadhana tantrique, la révélation de l'unité entre la Déesse, l'adorateur et l'adoration. Cette révélation n'est pas une simple donnée philosophique, mais une extase qui se dévoile dans l'adoration elle même. Dans l'expérience, l'unité entre expérience, celui qui expérimente et l'objet d'expérimentation. C'est une pratique de la non-dualité, dans le cadre de la vision mystique de l'univers comme Shri Yantra.

Lorsque le yogi parvient à l'unité essentielle (kaivalyapada), il se vit comme l'univers dans sa manifestation en tant qu'émission de la conscience. La conscience se déploie. L'univers est son corps. L'univers est contenu dans son corps, son vrai corps est l'univers entier. Il est esprit. Il se déploie dans chaque chose.

Lorsque Shankaracharya chante les "vagues de beauté", il ne fait que décrire ce qu'il voit en lui même, alors dans la vision (darshana) de Tripura Sundari.

Voici l'expérience d'un maître aghori du nom de Bhagavan Ram :
« Je, Aghoreshwar, me meus librement partout, en tout temps. Je, Aghoreshwar, suis présent dans les rayons du soleil, dans les rayons de la lune, dans les molécules de l’air, dans chaque goutte d’eau. Je, Aghoreshwar, suis présent dans tous les êtres de la terre, dans les arbres, les vignes, les fleurs, dans la végétation. Je, aghoreshwar, suis présent dans chaque atome de l’espace, entre la terre et le ciel. Je suis dans la lumière et aussi dans les ténèbres. J’ai une forme, et Je suis sans formes. Je suis dans la joie et aussi dans la peine. Je suis dans l’espoir et aussi dans le désespoir. J’erre dans le passé, le présent et le futur au même moment. Je suis connaissable et aussi inconnaissable. Je suis libre et également enchainé. Vous Me trouverez dans n’importe laquelle des formes ou vous Me chercherez, avec dévotion, et comme votre allié. Vrai, vrai, vrai. »

Aghoreshwar Bhagavan Rama
Kama est l'élan premier, la vibration première (spanda).
Kala se décompose en ka (le ciel), la (la terre). Kama-Kala est donc l'expérience védantique de "Je suis Cela". Tout cela.
Prakash (l'esprit) s'exprime avec Vimarsha (la forme), çà produit ce que l'on nomme la réalité (mishra, le mélange des bindus, le troisième bindu ou bija).

On décrit là aussi la pratique du shodashi mantra.

Mais la vision du réel dépend de l'orientation de l'élan.

"L'élan est Bhairava".

Je me souviens d'avoir crié à Notre Dame : "s'aimer soi même, aimer Dieu, aimer les autres, c'est la même chose!".

Après, les histoires sexuelles de chacun, bah c'est autre chose, çà regarde chacun. L'essentiel n'est pas là. L'essentiel c'est de s'ouvrir vraiment à soi même. Si tu veux passer par le sexe pour çà, pourquoi pas, je ne sais pas. Mais d'expérience, rechercher le sexe est une chose, rechercher Dieu en est une autre. Et chercher Dieu à travers le sexe mène je trouve, à bien des complications...

PS/ l'individuation n'est pas l'objectif de la démarche tantrique. Il ne s'agit pas de devenir quelqu'un, il s'agit d'arrêter de prétendre être quelqu'un. Je rejoins assez Eric Baret dans ses vues "radicales" parfois sur le plan mystique. Et m'éloigne pas mal de ce que certains psychanalystes jungiens comprennent des processus psychiques en jeu dans l'initiation spirituelle.

Cela dit, je vois l'individuation comme un effet collatéral de la sadhana. C'est à dire que lorsque l'on se jette sans peur dans le feu de la transformation, on croit qu'on va mourir. Et on meurt à ce que l'on croit de nous. La Déesse si bonne, nous donne alors une autre image de nous même, réconciliée avec son expérience et l'univers. C'est comme une nouvelle peau. Il y a donc l'idée d'individuation aussi, mais c'est secondaire par rapport à la notion de dépouillement de soi même et de fusion dans l'indicible. Ce qui fait hurler les psy car papa Freud a décrété que le sentiment océanique était névrotique...

PS2/ Je parle beaucoup de Jésus et des évangiles. C'est que pour moi, l'enseignement de Jésus décrit Shri Vidya.
kinaram

Re: deux et finalement trois bindu

Message par kinaram » 19 juin 2013, 12:43

Par ailleurs...Entrons dans le vif du sujet puisque nous parlons de Shri Vidya.

Il est dit que Shiva réduit en cendre Kama au cours de son ascèse. Et de ces cendres, va naître le démon Bandasura. Bandasura grandit et menace l'équilibre de l'univers. Les dieux se réunissent pour faire apparaitre Lalita, Kameshvari. Shiva se marrie avec Kameshvari en tant que Kameshvara. Kamesh signifie "seigneur du désir". Tantôt on applique cette notion à devi, c'est à dire à Kundalini, tantôt à soi même, c'est à dire l'expérimentateur. Il y a donc une idée de dépasser le désir, et sexuel notamment...

Kama prend tantôt le sens du désir sexuel lorsqu'il est appliqué à Kamadeva, tantôt le sens d'émission de la conscience lorsqu'il est appliqué à Shiva-Kameshvara. Il ne faut pas confondre les deux. Bien que les deux soient à l'intérieur de nous. Allons, on ne devient pas Shiva parce qu'on éjacule enfin!

Enfin, Lalita affronte bandasura avec les yoginis.

Et Rati, compagne de Kama est malheureuse...Alors Devi ressuscite Kama lorsque l'équilibre est revenu. C'est une idée je crois de "réorientation du désir".
Répondre