Le détachement

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Yog

Le détachement

Message par Yog » 08 juil. 2006, 20:58

Comme ça intéresse Rico, je vous mets des passages sur le détachement.

"Le détachement est une qualité positive. Mais il produit l'absorption dans la nature lorsqu'il n'est pas accompagné de la connaissance, jnâna, des principes (du Sâmkhya), tattva, càd, lorsqu'il n'y a pas de lucidité sur soi. Le détachement de tout activisme, des biens matériels... peut absorber la personnalité dans un niveau certes plus subtil, mais tout aussi aliénant. Le savant, le penseur, le philosophe ou le mystique, s'ils sont souvent libres d'attaches matérielles voire affectives ou sensuelles peuvent être esclaves de leurs sphéres d'intérêts, de leur détachement."

Source : Les Samkhya-karika, Bernard Bouanchaud, page 136.

"Le détachement, ce n'est pas se détacher des choses mais découvrir que les choses se détachent de soi."

Sources : Yoga-Sûtra de Patanjali, Miroir de soi, page 39
Bernard Bouanchaud


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feusecret
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Message par feusecret » 08 sept. 2006, 12:27

Bonjour.

À propos du détachement, voici un traité de Maître Eckhart sur le sujet :

J'ai lu beaucoup d'écrits, tant de maîtres païens que de prophètes, de l'Ancien et du Nouveau Testament, et j'ai recherché avec tout mon sérieux et toute mon application quelle est la plus belle et la plus haute des vertus : par laquelle l'homme peut se conformer le plus étroitement à Dieu et redevenir autant que possible pareil à son modèle original, tel qu'il était en Dieu, dans lequel il n'y avait aucune différence entre lui et Dieu, jusqu'à ce que Dieu eût créé les créatures. Et quand je vais au fond de tout ce qui a été écrit là-dessus, aussi loin que peut atteindre ma raison avec son témoingage et son jugement, je n'en trouve pas d'autre que le pur détachement de toute chose créée. C'est dans ce sens que Notre-Seigneur dit à Marthe : « Une chose est nécessaire ! » Ce qui veut dire : Qui veut être inaltérable et pur doit avoir une chose, le détachement.

Beaucoup de maîtres prônent l'amour comme ce qui est le plus haut, tel saint Paul quand il dit : « Quelque tâche que j'entreprenne, si je n'ai pas l'amour je ne suis rien. » Mais je mets le détachement encore au-dessus de l'amour. D'abord pour cette raison : le meilleur dans l'amour est qu'il m'oblige à aimer Dieu. Or c'est quelque chose de beaucoup plus important d'obliger Dieu à venir à moi que de m'obliger à aller à Dieu, et cela parce que ma béatitude éternelle repose sur ce que Dieu et moi devenions un. Car Dieu peut entrer en moi d'une façon plus intime et s'unir à moi mieux que je ne peux m'unir à lui. Or, que le détachement oblige Dieu à venir à moi, je le prouve ainsi : tout être se tient volontiers dans le lieu naturel qui lui est propre. Le lieu naturel de Dieu qui lui est propre par excellence est l'unité et la pureté, or celles-ci reposent sur le détachement. C'est pourquoi Dieu ne peut pas s'empêcher de se donner lui-même à un coeur détaché.

La seconde raison pour laquelle je mets le détachement au dessus de l'amour est celle-ci : si l'amour m'amène au point de tout endurer pour Dieu, le détachement m'amène au point de n'être plus réceptif que pour Dieu. Or c'est ce qui est de plus haut. Car dans la souffrance l'homme a toujours encore un regard sur la créature par laquelle il souffre; par le détachement au contraire il se tient libre et vide de toutes les créatures. Or, que l'homme détaché ne soit plus réceptif que pour Dieu, je le prouve ainsi : ce qui doit être reçu il faut que ce le soit en quelque sujet. Or le détachement est si proche du pur néant qu'il n'y a rien qui serait assez fin pour trouver place en lui, hormis Dieu : Lui est si simple et si fin qu'il trouve bien place dans le coeur détaché. Quelque chose d'assimilable n'est jamais assimilé et saisi que selon le mode particulier de celui qui l'assimile; de même toute chose connaissable est saisie et comprise selon le pourvoir de celui qui la comprend, et non pas comme elle est prise en elle-même.

Les maîtres ont loué aussi l'humilité de préférence à beaucoup d'autres vertus. Mais je mets le détachement au-dessus de toute humilité. Et cela pour la raison suivante : l'humilité peut exister sans détachement, mais non pas le parfait détachement sans une humilité parfaite. Car celle-ci tend à la destruction de notre moi. Or le détachement frôle de si près le néant qu'entre le détachement parfait et le néant il n'y a aucune différence. C'est pourquoi il ne peut absolument pas y avoir de détachement parfait sans humilité. Mais deux vertus sont toujours mieux qu'une. Ma seconde raison est celle-ci : l'humilité parfaite se courbe au-dessous de toutes les créatures - par quoi l'homme sort de lui vers la créature ; mais le détachement reste en lui-même. Or, quelque remarquable que puisse être une telle sortie de soi-même, rester en soi-même est pourtant toujours quelque chose d'encore plus haut. C'est pourquoi le prophète dit : « Toute la magnificence de la fille du roi vient de son intérieur. » Le détachement parfait ne connaît aucun regard sur la créature, ni fléchissement de genou, ni fierté dans le maintien, il ne veut être ni au-dessous ni au-dessus des autres, il ne veut que reposer sur lui-même, sans souci de l'amour ou de la souffrance de personne. Il n'aspire ni à l'égalité ni à l'inégalité avec quelque autre être que ce soit, il ne veut pas ceci ou cela, il ne veut qu'être un avec soi-même ! Mais être ceci ou cela il ne le veut pas, car celui qui le veut il veut être quelque chose, mais le détachement veut n'être rien ! C'est pourquoi toutes choses sont indifférentes pour lui.

Maintenant on pourrait objecter : la sainte Vierge avait pourtant toutes les vertus, et donc aussi celle du détachement dans sa plus haute perfection. Si celle-ci est plus haute que l'humilité pourquoi Notre-Dame glorifia-t-elle son humilité et non son détachement quand elle dit : « Il regarda l'humilité de sa servante ? » A cela je réponds : en Dieu est aussi bien le détachement que l'humilité - si tant est qu'on puisse du tout parler de vertus en Dieu. Ce fut son humilité pleine d'amour qui porta Dieu à s'abaisser à prendre la nature humaine, et pourtant, en devenant homme, il resta en lui-même aussi impassible que quand il créa le ciel et la terre - ainsi que je l'exposerai plus loin. Le Seigneur demeurant donc, quand il voulut devenir homme, dans son détachement impassible, Notre-Dame savait bien qu'il attendait d'elle la même chose quand il regarda aussi en outre son humilité et non son détachement. C'est pourquoi elle demeura dans un détachement impassible, mais ne se glorifia que de son humilité et non de son détachement. Car même si elle n'avait pensé à celui-ci que d'un mot, disant par exemple : « Il regarda mon détachement », celui-ci aurait par là été troublé, parce que par là elle serait sortie d'elle-même. Car quelque infime que soit une telle sortie d'elle-même, elle trouble toujours le détachement. C'est pourquoi le prophète dit : « Je veux me taire et entendre ce que dit en moi mon Seigneur et mon Dieu. » Comme s'il disait : si Dieu veut me parler, qu'il entre, je ne veux pas sortir ! Et Boëce dit : « O hommes, pourquoi cherchez-vous hors de vous ce qui est en vous : la béatitude ? »

Je mets aussi le détachement au-dessus de la compassion. En effet, la compassion n'est rien d'autre que le fait pour l'homme de sortir de lui-même vers les défauts de son prochain et d'en avoir le coeur troublé. De cela le détachement est affranchi, il reste en lui-même et ne se laisse troubler par rien. - Bref, quand je considère toutes les vertus, je n'en trouve aucune qui soit aussi parfaite et qui nous fasse autant ressembler à Dieu que le détachement.

Un maître nommé Vincent dit : « L'esprit qui est détaché, sa puissance est si grande : ce qu'il voit, cela est vrai, et ce qu'il désire cela lui est accordé, et là où il commande il faut lui obéir ! » Oui, vraiment, l'esprit devenu libre, dans son détachement, il contraint Dieu à venir à lui ; et s'il était en état de demeurer sans forme et sans faire d'acte étranger à son essence, il tirerait à lui l'essence la plus personnelle de Dieu. Mais cela Dieu ne peut le donner à personne qu'à lui-même. C'est pourquoi, avec l'esprit détaché, il ne peut faire autrement que de se donner Lui-même à lui. L'homme qui est complètement détaché est tellement ravi dans l'éternité que rien de passager ne peut plus l'amener à recevoir une sensation corporelle. Il est mort au monde parce que rien de terrestre ne lui dit plus rien. C'est cela que saint Paul avait en l'esprit quand il disait : « Je vis et ne vis pourtant pas. Le Christ vit en moi. »

Maintenant, tu demanderas : qu'est donc le détachement, pour qu'il cache en lui une pareille puissance ? Le vrai détachement signifie que l'esprit se tient impassible dans tout ce qui lui arrive, que ce soit agréable ou douloureux, un honneur ou une honte, comme une large montagne se tient impassible sous un vent léger. Rien ne rend l'homme plus semblable à Dieu que ce détachement impassible. Car que Dieu est Dieu, cela repose sur son détachement impassible : de là découle sa pureté, sa simplicité et son immutabilité. Si donc l'homme doit devenir semblable à Dieu (dans la mesure où l'égalité avec Dieu peut échoir à une créature) cela ne peut arriver que par le détachement. Il transpose ensuite l'homme en pureté, et de celle-ci en simplicité, et de celle-ci en immutabilité; et ces qualités produisent une ressemblance entre Dieu et l'homme. Cette ressemblance doit être produite par la grâce : qui ne fait qu'élever l'homme au-dessus du temporel et le purifie de tout ce qui est passager. Tiens-le-toi pour dit : être vide de tout le créé, cela veut dire être plein de Dieu, et être rempli du créé, cela veut dire être vide de Dieu.

Dans ce détachement impassible, Dieu s'est tenu, et se tient encore, éternellement. Même quand il créa le ciel et la terre et toutes les créatures cela ne touchait pas plus son détachement que s'il n'eût jamais rien créé. Oui, je l'affirme : toutes les prières et toutes les bonnes oeuvres que l'homme peut accomplir ici dans le temps, le détachement de Dieu en est aussi peu touché que s'il n'y avait absolument rien de tout cela, et Dieu n'en est en rien plus clément ou mieux disposé envers l'homme que s'il n'avait jamais fait ces prières ou accompli ces bonnes oeuvres. Oui, même quand au sein de la divinité le Fils voulut devenir homme et le devint et souffrit le martyre, cela ne toucha pas l'impassible détachement de Dieu, pas plus que s'il n'était jamais devenu homme.

Maintenant, tu pourrais dire : « Voici donc que j'entends que toutes les prières et bonnes oeuvres sont perdues, car Dieu ne se soucie pas qu'on veuille par là le déterminer ; et l'on dit pourtant que Dieu veut qu'on le prie pour tout ! » - Ici il faut que tu fasses bien attention et aussi que tu me comprennes bien (si tu le peux) : d'un premier regard éternel - si nous pouvons parler ici d'un premier regard - Dieu vit toutes choses comme elles devaient arriver, et vit dans le même regard quand et comment il créerait les créatures; il vit aussi la plus infime prière ou bonne oeuvre qui serait accomplie par quiconque et vit quelle prière et quelle dévotion il exaucerait; il vit que tu l'invoqueras demain instamment et le prieras avec un profond sérieux; et cette imploration et cette prière ce n'est pas demain seulement que Dieu l'entendra et l'exaucera, mais il l'a exaucée dans son éternité avant que tu ne devinsses homme. Mais si ta prière n'est pas honnête ni sérieuse, ce n'est pas maintenant que Dieu refusera de t'entendre; il l'a déjà refusé dans son éternité. Ainsi Dieu a tout vu de son premier regard; il n'opère rien à l'occasion, mais tout est déjà fait d'avance. Ainsi donc Dieu ne cesse d'être dans son détachement impassible : et la prière des gens et leurs bonnes oeuvres n'en sont pas pour cela perdues, mais qui agit bien sera aussi bien récompensé. Philippe dit : « Dieu le créateur maintient les choses dans la voie et dans l'ordre qu'il leur a donné depuis le commencement. Il n'y a chez lui rien de fini et rien non plus de futur : il a éternellement aimé tous les saints comme il les a prévus avant que le monde ne fût ! Et quand il arrive que se passe dans le temps ce qu'il a prévu dans l'éternité, les hommes s'imaginent que Dieu a pris de nouvelles dispositions. Mais quand il s'irrite contre nous ou quand il nous fait quelque bien, nous seuls sommes changés, lui reste immuable; comme la lumière du soleil fait du mal aux yeux malades et du bien aux yeux sains et pourtant reste elle-même sans changement. Dieu ne regarde pas dans le temps et devant son regard n'arrive rien de nouveau. » C'est dans ce sens que parle aussi Isidore dans le livre sur le Bien suprême quand il dit : « Maintes personnes demandent ce que Dieu faisait avant qu'il eût créé le ciel et la terre, ou bien d'où vint en Dieu la volonté nouvelle de créer les créatures. » Je réponds : aucune volonté nouvelle ne s'est jamais éveillée en Dieu, mais s'il est vrai que le créé n'a pas toujours existé ainsi en lui-même comme aujourd'hui il était pourtant de toute éternité en Dieu et en sa raison. Dieu n'a pas créé le ciel et la terre de la même façon que nous leur assignons, à la façon humaine, un devenir, non, mais toutes les créatures sont de toute éternité dites dans le Verbe divin. On pourrait encore objecter : « Le Christ avait-il aussi le détachement impassible quand il s'écria : « Mon âme est triste jusqu'à la mort ! » et Marie quand elle était debout au pied de la croix ? - et l'on parle pourtant beaucoup de ses plaintes : comment tout ceci s'accorde-t-il avec le détachement impassible ? » Eh bien ! dans chaque homme se trouvent à proprement parler, comme l'enseignent les maîtres, deux hommes : d'une part l'homme extérieur ou sensuel; au service de celui-ci sont les cinq sens, qui d'ailleurs reçoivent aussi en réalité leur pouvoir de l'âme; d'autre part l'homme intérieur, l'intériorité de l'homme. Or, chaque homme qui aime Dieu ne dépense les forces de l'âme dans l'homme extérieur que dans la mesure où les cinq sens en ont absolument besoin : son homme intérieur ne se tourne vers les sens que dans la mesure où il est pour eux un indicateur et un conducteur et les détourne de faire usage de leur objet d'une façon bestiale comme le font certaines gens, qui vivent en suivant leurs désirs corporels comme les animaux privés de raison et devraient plutôt être appelés des animaux que des hommes ! Mais le surplus de forces qui dépasse ce qu'elle donne aux sens, l'âme le tourne entièrement vers l'homme intérieur; oui, quand celui-ci a pour objet quelque chose de très haut et de très noble, elle tire à elle-même les forces qu'elle avait prêtées aux cinq sens, et alors on dit que l'homme est hors de ses sens et ravi. Car son objet est ou bien quelque chose d'imagé mais pourtant de raisonnable ou bien quelque chose de supraraisonnable et par là dépourvu d'image. Dieu attend justement de chaque homme spirituel qu'il l'aime avec toutes les forces de son âme; c'est pourquoi il dit : « Aime ton Dieu de tout ton coeur ! » Or il y a maintes gens qui dépensent les forces de leur âme entièrement dans l'homme extérieur. Ce sont les gens qui consacrent toute leur pensée et leur effort aux biens passagers. Ils ne savent rien de l'homme intérieur ! Mais de même que l'homme bon, parfois, retire à son homme extérieur toute les forces de l'âme, quand son âme est dirigée vers un objet élevé, de même des hommes semblables à des animaux retirent à leur homme intérieur toutes les forces de l'âme et les dépensent à l'extérieur. Allons plus loin : l'homme extérieur peut exercer une activité, cependant que l'homme intérieur en reste néanmoins entièrement dégagé et impassible ! Eh bien, même dans le Christ, tout comme dans Notre-Dame, il y avait un homme extérieur et un homme intérieur, et tout ce qu'ils exprimèrent en ce qui concerne les choses extérieures, ils ne le firent que du point de vue de l'homme extérieur, et l'homme intérieur en eux persistait dans un détachement impassible. C'est de cette manière que le Christ a aussi prononcé les paroles : « Mon âme est triste jusqu'à la mort ! » Et quelques plaintes et gémissements que fit entendre Notre-Dame elle n'en restait pas moins toujours dans son intérieur dans un détachement impassible. Prenez une comparaison. A la porte appartient le gond dans lequel elle tourne : je compare la planche de la porte à l'homme extérieur et le gond à l'homme intérieur. Si la porte est ouverte ou fermée, la planche de la porte se meut bien ici et là, mais le gond reste immuable en un seul lieu et n'est pas touché par le mouvement. Il en est de même ici.

Passons à la question de ce qu'est l'objet du pur détachement. Ce n'est pas ceci ou cela. Le détachement tend vers un pur néant, car il tend vers l'état le plus haut, dans lequel Dieu peut agir en nous entièrement à sa guise. Or ce n'est pas dans tous les coeurs que Dieu peut agir tout à fait à sa guise. Car, si tout-puissant soit-il, il ne peut pourtant agir que dans la mesure où il trouve le terrain préparé ou qu'il le prépare. « Ou qu'il le prépare », j'ajoute ces mots à cause de saint Paul, car en lui Dieu ne trouva aucune préparation, mais il le prépara seulement par l'infusion de sa grâce. C'est pourquoi je dis que Dieu agit selon qu'il trouve une préparation; son action est autre dans l'homme que dans la pierre. A cela nous trouvons une similitude dans la nature : quand on allume un four et qu'on met dedans une pâte d'avoine, une d'orge, une de seigle et une de froment, il n'y a qu'une seule chaleur dans le four et pourtant elle ne produit pas le même effet dans toutes les pâtes, mais de l'une est produit un pain raffiné, de l'autre un plus grossier et du troisième un autre encore plus grossier. Ce n'est pas la faute de la chaleur mais de la matière qui se trouvait n'être pas la même. Dans un coeur où a encore place ceci ou cela se trouve facilement aussi quelque chose qui empêche Dieu d'agir pleinement. Si le coeur doit être parfaitement préparé il faut qu'il repose sur un pur néant - en celui-ci réside en même temps la plus haute puissance qu'il peut y avoir. Prenez dans la vie une comparaison : si je veux écrire sur un tableau blanc, si beau que puisse être par ailleurs ce qui est écrit dessus, cela m'induit en erreur ; si je veux bien écrire il me faut effacer ce qui est déjà sur le tableau et les choses ne vont jamais mieux que quand rien du tout n'est écrit dessus. De même, si Dieu veut écrire dans mon coeur d'une façon accomplie, alors tout ce qui s'appelle ceci ou cela doit être chassé du coeur. Comme c'est justement le cas chez un coeur détaché. Alors Dieu peut exécuter parfaitement sa haute volonté. Aucun ceci ou cela n'est donc l'objet du coeur détaché !

Je vais maintenant plus loin et pose la question : quelle est la prière du coeur détaché ? A quoi je réponds de la façon suivante : le détachement, la pureté ne peut absolument pas prier. Car celui qui prie, il désire de Dieu quelque chose : que ce lui soit accordé, ou il désire que Dieu lui retire quelque chose. Mais le coeur détaché ne désire rien et il n'a rien non plus dont il voudrait être libéré. C'est pourquoi il se tient libre de toute prière et sa prière ne consiste qu'en ceci : n'avoir qu'une forme avec Dieu. Nous pouvons à ce propos citer ici ce que dit Denys sur le mot de saint Paul : « Il y en a beaucoup parmi vous qui, tous, courent pour avoir la couronne, et pourtant elle ne sera qu'à un seul ». Toutes les nombreuses forces de l'âme courent après la couronne et pourtant elle ne sera que pour la seule essence. Il ajoute : « La poursuite de la couronne signifie qu'on se détourne du créé et qu'on devient un avec le non-créé. Quand l'âme y arrive, elle perd son nom : Dieu la tire si complètement en lui qu'elle en est elle-même anéantie, comme le soleil tire à soi l'aube matinale pour qu'elle s'anéantisse ». - Seul le pur détachement mène l'homme jusque-là !

Nous pouvons aussi nous référer à un mot d'Augustin : « L'âme a une entrée secrète dans la nature divine où toutes choses sont pour elles anéanties ». - Cet accès, seul le pur détachement l'offre sur terre : quand celui-ci devient parfait, l'âme devient par connaissance sans connaissance, par amour sans amour et par l'illumination obscure.

Ici nous pouvons aussi évoquer ce qu'à dit un maître : « Bienheureux sont les pauvres en esprit, qui ont laissé à Dieu toutes choses, comme il les avait avant que nous ne fussions. » - Seul un coeur pur et détaché peut accomplir cela !

Que Dieu demeure plus volontiers dans un coeur détaché que dans tout autre nous nous en rendons compte par ceci. Si en effet tu me demandes : que cherche Dieu en toutes choses ? je te réponds avec le livre de la Sagesse, là où il dit : « En toutes choses je cherche le repos ! » Nulle part il n'y a repos complet que dans le coeur détaché. C'est pourquoi Dieu lui est plus cher que dans n'importe quel autre être ou dans n'importe quelle autre vertu.

Plus l'homme a réussi à se rendre réceptif à l'infusion de Dieu en lui, plus il est bienheureux : celui qui pousse les choses jusqu'à la préparation suprême, il se tient aussi dans la béatitude suprême. Mais on ne peut se rendre réceptif à cela que par la conformité avec Dieu. Le degré de la réceptivité se mesure suivant le degré de cette conformité. Cette conformité est instaurée en ce que l'homme s'assujettit à Dieu; dans la mesure où il s'assujettit à la créature il est moins conforme avec Dieu. Le coeur détaché se tient libre et affranchi de toutes les créatures, il est entièrement assujetti à Dieu et se tient dans la plus haute conformité avec lui : c'est pouquoi il est dans l'état le plus réceptif pour l'infusion de Dieu. C'est ce que voulait dire saint Paul quand il disait : « Revêtez Jésus-Christ ! » Il entendait par là la conformité avec le Christ. Tu dois en effet le savoir : quand le Christ devint homme, il n'assuma pas un être humain déterminé, il assuma la nature humaine. Si donc tu te retires de tout, il ne reste que ce que le Christ a assumé, et ainsi tu as revêtu le Christ.

Maintenant, celui qui veut bien se rendre compte de la valeur et de l'utilité du parfait détachement qu'il prenne en considération les paroles que le Christ a dites à ses disciples sur son apparition humaine : « Il est bon pour vous que je vous quitte, car si je ne vous quitte pas vous ne pouvez recevoir le Saint-Esprit. » Comme s'il disait : « Vous avez tiré jusqu'à présent trop de joie de ma présence visible, c'est pourquoi vous ne pouviez recevoir la joie parfaite du Saint-Esprit. Dépouillez-vous donc de tout ce qui est image et unissez-vous à l'essence sans image et sans forme. Car la consolation spirituelle de Dieu est douce, c'est pourquoi elle ne veut s'offrir qu'à celui qui méprise la consolation perceptible par les sens ». En vérité je le dis pour tous les gens qui réfléchissent : il n'en va de personne aussi bien que de celui qui se tient dans le plus grand détachement. Toute joie corporelle et charnelle apporte avec elle un dommage spirituel, car la chair désire contre l'esprit et l'esprit contre la chair. Celui qui sème dans la chair le faux amour, il récolte la mort; celui qui sème dans l'esprit le vrai amour, il récolte la vie éternelle. Plus l'homme s'éloigne de la créature, plus le Créateur se hâte vers lui. Eh bien donc ! si la joie, déjà, que nous pouvions avoir à la présence corporelle du Christ nous fait du tort pour la réceptivité du Saint-Esprit, combien davantage la joie déplacée que nous prenons aux choses périssables ne doit-elle pas nous faire du tort vis-à-vis de Dieu ?

C'est pourquoi le détachement est ce qu'il y a de meilleur, car il rapproprie l'âme, purifie la conscience, allume le coeur et éveille l'esprit, il donne de la rapidité au désir, il surpasse toutes les vertus : car il nous fait connaître Dieu, il sépare de ce qui est de la créature et unit l'âme à Dieu. Car un amour partagé est comme de l'eau répandue dans le feu, mais un amour unique est comme un rayon de plein miel.

Remarquez-le bien, vous tous, esprits réfléchis : le coursier le plus rapide qui vous porte vers la perfection est la souffrance. Personne ne jouit d'une telle béatitude éternelle que ceux qui se tiennent avec le Christ dans la plus grande amertume. Rien n'est aussi amer (comme du fiel) que la souffrance, et rien n'est aussi doux (comme miel) que d'avoir souffert. Le fondement le plus assuré sur lequel peut reposer cette perfection est l'humilité. Car celui dont l'homme naturel rampe ici-bas dans l'abaissement le plus profond, son esprit vole vers les hauteurs suprêmes de la divinité. Car la joie apporte la souffrance - et la souffrance apporte la joie !

Les voies des hommes sont variés : l'un vit de telle façon, l'autre de telle autre. Celui qui veut arriver à la vie la plus haute dans cette temporalité, qu'il saisisse en peu de mots le bref enseignement tiré de toutes les écritures que nous formulons comme suit : Tiens-toi à l'écart de tous les hommes, ne te laisse troubler par aucune impression reçue, rends-toi libre de tout ce qui pourrait donner à ton être une participation étrangère, te lier au terrestre et t'apporter des soucis, et dirige toujours ton esprit vers une contemplation salutaire : dans laquelle tu portes Dieu dans ton coeur, comme l'objet devant lequel ton regard ne vacillera jamais ! Quand à ce qui concerne les exercices : le jeûne, la veille ou la prière, dirige-les tous vers lui comme vers leur but et n'en fais que ce qu'il faut pour qu'ils puissent te faire avancer vers lui; ainsi tu atteindras le sommet de la perfection. Maintenant, quelqu'un pourrait dire : qui pourrait donc soutenir le regard immobile de l'objet divin ? Je lui réponds : personne qui vit, ici dans le temps. Aussi cela ne doit-il t'être dit que pour que tu saches ce qui est le plus haut et vers quoi tu dois diriger ton désir et ton effort. Mais si cette contemplation t'est retirée et si tu es un homme bon cela doit t'être comme si on te prenait ta béatitude éternelle. Alors reviens-y bientôt pour qu'elle (la contemplation) redevienne tienne ; et tiens-toi toujours fermement sur tes gardes ; et que ce soit là-haut, dans la mesure où c'est possible, que tu aies ton but et ton refuge.

Seigneur et Dieu, à toi soit la louange éternellement ! Amen.
SOUFI
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Message par SOUFI » 25 oct. 2006, 18:52

bonjour cher yoq c'est pour dire que le detachement lui meme peut contribuer a renforcer l'ego pour illustrer cet argument je vais te raconter l'histoire de 2 soufis :il y'avait a une epoque 2 soufis tres chercheurs :D l'un d'eux habitait dans la foret retiré de tout avec ses disciples( on va l'appeler SOUFI X) et l'autre dans la ville avec le luxe (SOUFI Y) , un jour le SOUFI X envoya un de ses disciples en ville pour qu'il aille lui acheter des "choses" et lui demanda par la meme occasion de rendre visite au SOUFI Y . le disciple s'executa et alla voir le SOUFI Y ce dernier le reçu et lui demanda de dire a son maitre de renoncer au monde parce que c'est pas encor fait . tu ne trouves pas que c'est paradoxal :wink: . Et bien cela voudrait donc dire que le detachement n'est pas quelque chose de physique mais d' interieur il faut depasser la perception qu'on a de notre environnement c'est cela que prone en fait le tantrisme quand il dit qu'il faut tout utiliser pour atteindre l'illumination tout en sachant que tout exces est nuisible .
il n'y a qu'un chemin mais plusieurs façon de l'aborder
anam

Message par anam » 16 nov. 2006, 20:00

salut! salut! moi je suis terriblement attachée à mes clopes (beurk!); plus je pratique le yoga, plus ça me dégoûte! a propos des mauvaises habitudes (qui sont un manque de détachement, n'est-ce pas?), voici ce que dit swami Niranjan: "a habit is a habit...take the h away, a bit remains; take the a away, bit remains, take the b away it remains!!!"
j'ai beaucoup aimé...il paraît, en effet, donc, qu'ilvaut mieux développer des attachements (habitudes) positives et voir le reste se détacher tut seul, plutôt que se forcer à se détacher de ceci ou de cela (démarche qui relève encore et toujours, alas! de notre cher cher égo).
rico
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Message par rico » 16 nov. 2006, 20:39

Il est évident qu'il vaut mieux être attaché à sa séance de yoga qu'à son paquet de clopes!!!!!
"Le yoga spirituel n'existe pas, le yoga c'est l'unité et on ne peut rien faire avec un corps faible."
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