On retrouve donc le plan physique (le plus grossier), puis le plan vital (prana), puis le mental (mana), puis celui de la perception de la réalité (buddhi), puis le plan du dharma (les lois de notre nature mais aussi notre liberté existentielle), puis le plan rasa, et enfin celui de la béatitude (ananda). C'est la belle description de rasa dans cet ouvrage qui m'a motivé pour la partager avec vous. Je cite donc le texte :
Le 6ème plan, rasa, est celui de l'esthétique et de la beauté.
C'est aussi celui du goût, de la capacité à goûter le monde et ses expériences, à éprouver les sensations comme pures vibrations, à sucer autant le suc de la conscience que le fiel de la douleur. Le toucher pur, sans interaction d'aucune sorte avec un quelconque élément personnel, est la qualité centrale de rasa quand il exprime le goût.
Rasa fait de la manifestation universelle un déploiement de beauté et d'harmonie. L'ensemble des éléments qui composent l'univers, et donc l'être humain, participent également et sans contrainte à cette esthétique cosmique. Tout en soi porte la marque de la beauté car aucune dégradation liée aux tendances destructrices et douloureuses des plans inférieurs ne contamine rasa. Au niveau impersonnel, les plans matériels, vital, mental, intelligent, sont imprégnés de la beauté cosmique.
Ce que l'individu goûte comme vice ou vertu, bien ou mal, vérité ou mensonge, etc. perd ses qualités dans rasa pour participer d'une manière pure, lumineuse et impersonnelle à l'harmonie esthétique de l'univers : tout n'est que beauté en soi et le spectateur de ce rang savoure cela.
Que le spectacle soit celui de la création ou de la destruction, des forces furieuses et violentes ou des forces bénéfiques de la nature, qu'il s'agisse de la souffrance et de l'agonie ou du bonheur des êtres vivants, tout, sans exception, apparait d'une beauté et d'une esthétique sans ombre. Le yogin qui suce les saveurs du monde, sa conscience immergée dans rasa, dépasse les limitations mentales, intellectuelles et morales de l'égo. Il ne voit plus dans la manifestation universelle, dans les êtres qui s'y meuvent et en lui-même qu'amour et harmonie.
Rasa irradie dans les plans inférieurs, mais avec tant de discrétion qu'il en devient imperceptible. C'est l'un des repères essentiels de la métaphysique, de la philosophie, des pratiques et des comportements tantriques ou natha qui ont vu dans l'esthétique et dans la jouissance des rasa un accès direct aux degrés les plus purs de la Conscience. Voilà pourquoi les yogin se sont evertués à en découvrir des traces - rasa tattva, la nature du rasa, accessibles dans certaines qualités ou certains comportements humains. [...]
Il peut être difficile de saisir que ce qui apparaît sous forme épouvantable, odieuse et compassionnelle dans notre champ d'expérience - qui concerne principalement le plan physique animal ou mental humain - et qui provoque dans nos sensations peurs, dégout ou tristesse sont aussi, au niveau de rasa, des qualités emplies de beauté et d'esthétique.
C'est notre incapacité sensorielle, et par la suite mentale, à percevoir l'esthétique dans chaque partie ou mouvement de la manifestation qui, tronquant nos perceptions, nous donne une vision du monde limitée aux manifestations destructrices ou douloureuses de ces qualités.
Ceci permet de mieux comprendre pourquoi le système natha accorde tant d'attention aux plaisirs, aux saveurs, et à l'esthétique. etc...