
SHRI-SHANKARACHARYA (SHANKARA)
Suprême Joyau de Sagesse
(traduit de la traduction anglaise de Mohini M. Chatterji.)
(2e Édition)
La Famille Théosophique
1924
Shri-Shankaracharya (788-820 ou 700-750)
Source : Ouvrage d’origine.
Texte numérisé par S. Schoeffert - Édition H. Diaz
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et sous condition de préserver cette mention et la précédente
1. Je me prosterne devant le véritable instructeur, – celui que révèlent tous les systèmes de philosophie védantiste, et qui reste lui-même inconnu, Govinda la suprême félicité.
2. Il est difficile pour les créatures sensibles d’atteindre une naissance humaine, pour les êtres humains de parvenir à la virilité, difficile aux hommes de devenir Brahmins, aux Brahmins de suivre le sentier du Dharma Védique, et pour ceux qui le suivent de s’instruire dans la Science. Mais la connaissance spirituelle qui distingue l’Esprit du Non-Esprit, la réelle immersion de soi-même dans le Brahma Atma et la libération finale des liens de la matière sont inaccessibles, autrement que par le bon Karma de milliers d’incarnations.
3. Ces trois états si difficiles à atteindre : l’humanité, le désir de libération, et la protection des grands êtres spirituels, sont acquis seulement par la faveur des dieux.
4. Celui qui, par erreur, après avoir acquis avec difficulté l’incarnation humaine, et dans sa maturité la connaissance des Ecritures, ne s’efforce pas d’atteindre la libération, se détruit par la poursuite des objets illusoires.
5. En est-il un sur cette terre qui possède une âme plus noire que celui qui, ayant obtenu une incarnation humaine et un corps mâle, s’attache follement à la poursuite des objets égoïstes.
6. Il peut étudier les Ecritures, se rendre les dieux propices par les sacrifices, accomplir les cérémonies religieuses, offrir aux dieux sa dévotion, il n’obtiendra le salut pendant même la succession de centaines de Brahmas-Yugas, que par sa connaissance de l’union avec l’esprit.
7. L’immortalité qui est atteinte par l’acquisition de toute condition objective (telle celle d’un dieu) est sujette à finir, car cela est distinctement établi par les Ecritures (Sruti), que Karma n’est jamais cause de libération.
8. Ainsi l’homme sage à la recherche du salut, ayant renoncé au désir de jouir des objets extérieurs, se donnera à un véritable instructeur et acceptera son enseignement avec une âme inébranlable.
9. Et par la pratique d’un juste discernement, acquis par la voie de Yoga, il délivrera son âme, l’âme immergée dans l’océan de l’existence conditionnée.
10. Après avoir fait l’abandon de tout Karma, pour être délivré des liens de l’existence conditionnée, ces hommes sages s’efforceront avec un esprit résolu d’obtenir la connaissance de leur propre Atma.
11. Les actions servent à purifier le cœur, mais non à parvenir jusqu’à la réelle substance. Cette substance peut être atteinte par le juste discernement ; jamais par une somme de Karma, aussi grande soit-elle.
12. La perception du fait que l’objet vu est une corde éloigne la peur et la souffrance qui résultent de l’idée illusoire que cette corde est un serpent.
13. La connaissance d’un objet ne peut être obtenue que par perception, investigation ou instruction, non par des bains, des aumônes, ou par le fait de retenir cent fois sa respiration.
14. L’acquisition d’un objet dépend principalement des qualités de celui qui désire l’acquérir ; tout artifice et toutes contingences qui résultent des conditions de temps et d’espace ne sont que de simples accessoires.
15. C’est pourquoi celui qui désire connaître la nature de son propre Atma, après avoir obtenu la bienveillance d’un gourou qui a atteint la connaissance de Brahma, avancera par ses propres investigations.
16. Celui qui possède un intellect puissant, qui est un homme instruit, et qui a des pouvoirs de compréhension, est qualifié pour de telles investigations.
17. Est considéré digne d’approfondir les choses de l’esprit celui-là seul qui est sans attachement, sans désir, qui possède Sama avec les autres qualités et qui aspire à la libération.
18. Il existe à cet effet quatre sortes d’entraînements préparatoires, dit le sage ; par eux l’effort sera couronné de succès, sans eux toute tentative est vaine.
19. Le premier est reconnu comme le discernement entre l’éternel et le transitoire ; deuxièmement vient le renoncement au désir de jouir des fruits de l’action, ici-bas et au-delà.
20. Troisièmement, les six possessions commençant avec Sama ; et quatrièmement l’aspiration vers la libération. Brahma est vrai, le monde transitoire est une illusion ; telle est la conclusion finale à laquelle on donne le nom de discernement entre le transitoire et l’éternel.
21. Le renoncement au désir consiste dans l’abandon des plaisirs de la vue, de l’ouïe, etc...
22. Et encore dans la cessation de tout plaisir provenant des objets transitoires qui, de la jouissance physique, s’élèvent jusqu’à Brahma le créateur, renouvelant sans cesse la méditation sur leur insuffisance et leurs imperfections. La paisible concentration de l’esprit sur l’objet de perception est appelée Sama.
23. On appelle Dama, la limitation à leur propre sphère des organes d’action et de sensorielles perceptions, après qu’on les a détournés des objets de sensation.
24. Un état n’ayant pas de rapport avec le monde extérieur, ou ne dépendant pas de lui est le véritable Uparati.
25. L’endurance de toutes souffrances et peines, sans pensées de revanche, sans abattement, et sans lamentation, est appelé Titiksha.
26. La méditation fermement établie sur les enseignements des Shastras et du gourou, accompagnée d’une foi en eux, permettant à la pensée d’être réalisée, est décrite comme Sraddha.
27. La constante fixation du mental sur l’esprit pur, est appelée Samadhana – mais non la distraction de la pensée par les objets illusoires du monde.
28. Mumukshatva, c’est aspirer par la connaissance de son propre soi, à être libéré des liens créés par ignorance, depuis le sentiment de personnalité, jusqu’à l’identification de soi-même avec le corps physique.
29. Alors que les qualifications énumérées ne seraient possédées que faiblement, elles seront fortifiées et perfectionnées par l’absence de désir, par Sama, accompagné des autres qualités, ainsi que par la bienveillance de l’instructeur, et porteront des fruits.
30. Chez celui en qui prédomine l’absence de désir et l’aspiration vers la libération, Sama et les autres qualifications produiront de grands résultats.
31. Quand l’absence de désir et l’aspiration pour la libération sont faibles, Sama et les autres qualifications ne seront qu’indiquées, telle l’eau dans un mirage.
32. Parmi les instruments de libération, le suprême est la dévotion. On appelle dévotion, la méditation sur la vraie forme du soi.
33. Certains disent que la dévotion est la méditation sur la nature de son propre Atma. Celui qui possède toutes ces qualifications est apte à connaître la vraie nature d’Atma.
34. Un tel homme doit approcher le gourou, par qui la délivrance de l’esclavage peut être obtenue : un sage, ayant la science des Écritures, sans péché, libéré du désir, et connaissant la nature de Brahman.
35. Un sage parvenu au repos de l’esprit, – telle la flamme qui se repose lorsque le bois est consumé, – et animé d’une bienveillance que nulle considération personnelle ne guide, est désireux de secourir tous ceux qui cherchent assistance.
36. L’homme ayant obtenu la faveur d’un tel précepteur, qui n’est pas autrement engagé, s’adressera à lui, et dans un maintien respectueux et obéissant, lui exposera l’objet de ses recherches.
37. « Salut à toi, ô Seigneur plein de compassion. Ô ami de ceux qui te rendent hommage. Je suis tombé dans l’océan des naissances et des renaissances. Sauve-moi par ton regard, qui ne se refuse jamais, et d’où s’écoule l’ambroisie de vérité et de pardon. »
38. « Protège de la mort celui qui est brûlé par le terrible feu des existences incessamment changeantes, et qu’il ne peut éteindre ; celui qui ballotté, oppressé, par les vents de la mauvaise fortune n’a de refuge qu’en toi ».
39. Les grands et pacifiques Êtres vivent, régénérant le monde comme le fait la venue du printemps. Après avoir traversé l’océan de l’existence corporelle, ils aident ceux qui, dénués de motifs personnels, s’efforcent de suivre leur voie.
40. Ce désir d’aider est spontané chez eux, car la tendance naturelle des grandes âmes est de faire disparaître la souffrance d’autrui comme la lune aux rayons ambroisés, rafraîchit la terre brûlée par les ardents rayons du soleil.
41. « Ô Seigneur, brûlé comme je le suis, par l’ancien feu des naissances et des re-naissances, rafraîchis-moi, charme mon oreille par des paroles, dont les délices qui découlent de ta bouche se mêlent à l’essence de ton expérience, donne-moi le plaisir que procure la connaissance de Brahma, plaisir sacré et apaisant. Heureux ceux qui attirent ton regard, même pour un moment, car ils deviennent des réceptacles choisis, et tu les acceptes pour disciples.
42. « Comment traverserai-je cet océan des naissances et des re-naissances ? Quelle est ma destinée ? Y a-t-il des moyens ? Ô Seigneur, je ne sais. Ô Seigneur, dans ta bonté protège-moi, allège la douleur qui s’élève des naissances et des re-naissances.
43. La grande âme regardant avec des yeux émus et pleins de compassion, celui qui brûlé par l’ancien feu des naissances et des re-naissances innombrables, cherche en elle un refuge, s’adresse aussitôt à lui, et met fin à ses craintes.
44. Car le Sage, avec miséricorde, enseigne la vérité au disciple qui l’approche, désireux de libération et mettant en pratique les moyens requis pour l’obtenir, c’est-à-dire, qui possède Sama et le calme de l’esprit.
45. « Ne crains rien, homme sage, il n’est pas pour toi de dangers. Il existe un moyen de traverser l’océan des naissances et des re-naissances, celui par lequel tous les yoguis l’ont traversé. Je te l’indiquerai.
46. Il est un moyen efficace, pour la destruction des naissances et des re-naissances ; par lui, traversant l’océan de l’instabilité, tu atteindras la félicité suprême.
47. Par une exacte compréhension des fins proposées par la Védanta, l’excellente connaissance est produite ; par elle la grande misère des naissances et des re-naissances est terminée.
48. Il est directement indiqué par les Écritures, que Sradha, Bhakti, Dhyan et Yoga sont les causes qui donnent naissance à la libération ; quiconque reste fidèle à leur pratique, est délivré des chaînes de l’existence dans un corps.
49. Par ignorance une relation s’est établie entre toi qui es Paramatma et ce qui n’est pas Atma ; de là cette roue des existences dans un corps. Par la flamme de sagesse qui naît du discernement, le produit de l’ignorance est consumé jusque dans ses propres racines.
50. Ô Seigneur, par grâce, écoute ! Je t’adresse une question, et quand j’aurai reçu la réponse de tes lèvres, mon but sera atteint.
51. Que sont les chaînes ? Quelle est leur origine ? Comment sont-elles maintenues ? et comment les briser ? Qu’est-ce qui est non-esprit ? Qu’est-ce qui est esprit suprême ? Comment les distinguer ?
Le Maître dit :
52. Tu es heureux, tu as atteint le but, par toi ta famille est sanctifiée, dans la mesure où, te libérant des chaînes d’Avidya, tu as désiré devenir Brahm.
53. Les fils, et d’autres encore, peuvent décharger un père de ses dettes, mais nul autre que soi-même, ne peut briser ses propres chaînes.
54. Il est possible de soulever le fardeau qui pèse sur les épaules d’autrui, mais la souffrance qui naît de la faim ne peut être apaisée que par soi.
55. On voit le malade recouvrer la santé à l’aide du remède qu’il absorbe, et du régime qu’il suit, mais non par des actes accomplis par d’autres.
56. L’unique réalité, dans sa nature même, doit être connue par la perception spirituelle personnelle, non par les enseignements d’un pandit (un savant) ; la forme de la lune doit être vue par nos propres yeux, comment la verrions-nous par les yeux des autres ?
57. Quel autre que soi-même (atma) pourrait briser les chaînes d’Avidya, Kama et Karma (ignorance, passion et action) même en y consacrant mille millions de kalpas ?
58. La libération ne peut être atteinte que par une perception directe de l’identité de l’être individuel avec le soi universel ; elle ne le sera, ni par Yoga (entraînement physique), ni par Sankhya (philosophie spéculative), ni par la pratique
des cérémonies religieuses, ni par la science pure.
59. La forme et la beauté du luth (vina), l’art d’en faire résonner les cordes, sont pour le divertissement du peuple, mais ne contribuent pas à la loyauté des sujets, comme le bon gouvernement d’un roi.
60. La bonne prononciation, la correction du langage, l’exégèse habile, la science, font les délices du savant, mais ne l’amènent pas à la libération.
61. Si la suprême vérité demeure inconnue, l’étude des Ecritures est infructueuse, et lorsque la suprême vérité est connue l’étude des Ecritures est inutile (l’étude de la lettre est sans effet, c’est par l’intuition que l’esprit doit être trouvé.)
62. Dans un labyrinthe de mots le mental est perdu, comme l’homme au sein d’une épaisse forêt ; c’est pourquoi, avec grand effort on doit apprendre la vérité concernant soi-même, de celui qui sait la vérité.
63. De quel usage sont les Védas, pour celui qui a été mordu par le serpent de l’ignorance ? A quoi servent les Ecritures, les incantations, et tous les remèdes, lorsque la connaissance suprême est absente ?
64. La maladie n’est pas guérie en prononçant le nom du remède sans le prendre ; la libération n’est pas obtenue, par la prononciation du mot Brahm, sans une perception directe.
65. Sans la dissolution du monde des objets, sans la connaissance de la vérité spirituelle, la libération pourrait-elle être trouvée dans de simples paroles externes, qui sont sans résultat, en dehors de leur articulation ?
66. Sans triompher des ennemis, sans posséder les richesses d’un vaste pays, par ces simples mots : « Je suis roi », on ne peut le devenir.
67. Le trésor caché n’apparaît pas au simple commandement « sors », mais s’appuyant sur des informations dignes de foi, il faut creuser la terre et remuer les pierres. De même la pure vérité qui dépasse l’opération de maya, (maya signifiant ici la force d’évolution) n’est pas obtenue par de simples conclusions illogiques ; elle ne l’est pas sans l’instruction de ceux qui connaissent le suprême, sans méditation, réflexion, etc.
68. Par conséquent, l’homme sage s’efforcera de se libérer des liens de l’existence conditionnée, tel un malade, qui par tous les moyens cherche à guérir son mal.
69. L’excellente question que tu m’as soumise, devrait être posée par tous ceux qui désirent la libération. Comme un sage aphorisme, elle est en accord avec les Ecritures, elle est brève, et remplie de signification profonde.
70. Ecoute attentivement, ô homme sage, la réponse que je vais te faire, car en l’écoutant, tu seras vraiment libéré de l’esclavage de l’existence conditionnée.
71. La cause principale de libération est, dit-on, trouvée, dans le détachement complet du mental, des objets transitoires ; puis vient l’acquisition de sama, dama, titiksha, et un entier renoncement à tout karma (actes religieux et autres, tendant à acquérir un objet de désir personnel).
72. Alors, le sage étudiant se consacrera journellement et sans répit à l’étude des Ecritures, à la réflexion, à la méditation sur les vérités qu’elles contiennent, et finalement s’étant délivré de l’ignorance, l’homme qui a atteint la sagesse, jouira de la félicité du Nirvana, même pendant sa vie sur terre.
73. Le discernement entre l’esprit et le non-esprit, que tu dois maintenant comprendre, je te l’expose : écoute-moi avec soin, puis réalise-le en toi-même.
74-75. Le sage appelle corps grossier, ce qui est un composé de moelle, d’os, de graisse, de chair, de sang, de chyle et de semence, dont la forme est faite de pieds, poitrine, bras, épaules, tête, membres et organes. C’est ce corps qui cause l’ignorance et produit l’illusion du « Je », et du « Moi ». Les éléments subtils sont l’akasa, l’air, le feu, l’eau et la terre. (Il s’agit ici des principes supérieurs de ces éléments).
76. Par le mélange des uns avec les autres, ils deviennent les éléments matériels et produisent le corps grossier. Leur fonction est de créer les cinq sens, destinés aux expériences de leur possesseur.
77. Les égarés qui sont attachés aux objets mondains par les liens d’un désir puissant, difficile à briser, sont, entraînés de force, par leur propre Karma, aux cieux (swarga), sur la terre, et dans l’enfer (naraka).
78. Attachés par les qualités des cinq sens, tels le son ou autres, cinq créatures : le daim, l’éléphant, le papillon, le poisson et l’abeille, trouvent la mort dans leur attrait . Qu’arrivera-t-il de l’homme attaché par tous les sens réunis ?
79. Les objets des sens sont un poison plus virulent et plus fatal que celui du noir serpent (Naja Trapidianus) ; le poison n’est mortel que lorsqu’il est absorbé, mais les objets des sens peuvent tuer (spirituellement) par leur simple apparence extérieure (littéralement : à leur simple vue.)
80. Celui qui est affranchi du grand esclavage des désirs, esclavage si difficile à éviter, est seul capable d’obtenir la libération ; tout autre, serait-il versé dans les six systèmes de philosophie, ne saurait y parvenir.
81. Ceux qui, étant désireux de libération par pure sentimentalité, et affranchis de passion seulement en apparence, cherchent à traverser l’océan de l’existence conditionnée, sont saisis à la gorge par l’hydre du désir et plongés de force dans cet océan où ils se noient.
82. Celui-là seul qui a tué l’hydre du désir avec l’épée du détachement suprême, traverse sans obstacle l’océan de l’existence conditionnée.
83. Le mental de celui qui suit le chemin tortueux des objets sensuels, se trouble ; la mort l’attend à chaque pas, tel l’homme (disent les astrologues) qui se met en voyage le premier jour du mois mais quel que soit celui qui marche sur le droit chemin, sous la direction d’un gourou ou d’un homme vertueux veillant sur son bon état spirituel, celui-là obtiendra par son intuition personnelle l’accomplissement du but qu’il poursuit ; sache que cela est la vérité.
84. Si le désir de libération existe en toi, tu dois rejeter bien loin les objets des sens, les regardant comme un poison, tu dois constamment, et avec ferveur, rechercher le contentement, comme s’il était de l’ambroisie, ainsi que la bienveillance, le pardon, la sincérité, la tranquillité et le contrôle de toi-même.
85. Quiconque ne porte attention qu’à la nourriture de son propre corps, ne faisant rien pour les autres, qui évite sans cesse de remplir ses propres devoirs, et ne cherche pas à se libérer des chaînes causées par l’ignorance, travaille à sa destruction.
86. Celui qui ne vit que pour nourrir son propre corps, ressemble à l’homme qui traverse une rivière sur un alligator, croyant qu’il est sur un tronc d’arbre.
87. Celui qui cherche la libération, voit que les désirs qui appartiennent au corps, entraînent vers la grande mort ; celui qui est exempt de tels désirs, est seul capable d’atteindre la libération.
88. Triomphe de la grande mort, des désirs qui ont pour but le corps, la forme, l’enfant, etc. Quand l’ascète (muni) a triomphé de cette mort, il entre dans la demeure suprême de Vishnou (c’est-à-dire qu’il atteint l’union avec le Logos qui réside au sein de Parabrahm).
89. Ce corps grossier que nous condamnons, est composé de peau, de chair, de sang, de nerfs, de graisse, de moelle et d’os ; il est rempli d’impuretés.
90. Ce corps, résultat du karma précédent, est produit par les éléments grossiers, engendrés eux-mêmes par le processus qui les quintuple, il est le véhicule des jouissances terrestres. Quand ce corps est à l’état de veille, les objets grossiers sont perçus.
91. L’ego enfermé dans ce corps, jouit au moyen des organes externes, des objets grossiers, tels les formes variées des guirlandes de fleurs, le bois de santal, les femmes, etc. C’est ainsi qu’il est conscient du corps à l’état de veille.
92. Sache que ce corps grossier de qui dépendent toutes les manifestations extérieures de purusha n’est que la maison de celui qui l’habite.
93. Le corps grossier produit la naissance, la décrépitude et la mort. Ses stades de développement sont l’enfance et toute la suite des états d’existence. Au corps sujet aux maladies, appartiennent les innombrables réglementations de castes et de conditions , comme aussi les honneurs, la disgrâce, et toutes choses semblables.
94. L’intelligence, l’ouïe, le toucher, la vue, l’odorat et le goût, sont appelés des sens, parce qu’ils transmettent la perception des objets grossiers. La parole, les mains, les pieds, sont nommés organes d’action, parce qu’ils servent à accomplir les actes.
95-96. Manas, buddhi, ahankriti et chitta, ainsi que leurs fonctions sont appelés organes internes. Manas est ainsi nommé en raison de ses hypothèses et de ses doutes ; buddhi pour sa faculté de se faire un jugement précis sur les objets ; ahankriti naît de la notion du moi, et chitta est ainsi appelé à cause de sa propriété de concentrer le mental sur les intérêts qui lui sont propres.
97. Comme se transforment l’or, l’eau etc. la vitalité (prana, le second principe), devient par la différence de ses fonctions et modifications, prana, apana, vyana, udana, samana.
98. Un corps qui est appelé sukshma (subtil), est constitué des cinq facultés, premièrement la parole etc. ; de cinq organes, premièrement l’oreille etc. ; de cinq airs vitaux, premièrement prana etc. ; de cinq éléments, akasa, buddhi (intellect) etc. ; puis d’avidya (ignorance), d’où découlent Kama (désir) et Karma (action).
99. Écoute. – Ce corps qui est produit par les cinq éléments subtils, est appelé sukshma, et aussi linga (caractéristique) sarira, il est le champ des désirs, il expérimente les conséquences de karma (expériences antérieures) ; uni au karana sarira, étant ignorant, il n’a pas de commencement et il est l’upadhi (véhicule) de atman.
100. La condition qui caractérise ce corps, est l’état de rêve : cet état se distingue de celui de veille, par la manière particulière dont ses sens agissent ; en état de rêve, le mental lui-même vitalise les conditions créées, dans l’état de veille, par le désir.
101. Ce corps, désormais capable de jouer un rôle, se manifeste. En lui brille le soi absolu (le septième principe) ayant comme véhicule l’intellect (le cinquième principe), dans sa condition la plus haute, et qui, tel un témoin indifférent, n’est affecté par nul karma.
102. Étant exempt de toute union, il (le septième principe) ne peut être affecté par l’action d’un upadhi. Ce linga sarira accomplit les actes en qualité d’instrument d’atma, de même que le ciseau et les autres outils accomplissent l’œuvre du charpentier. C’est ainsi que atma est exempt de toute union.
103. La cécité, la faiblesse des yeux, leur faculté d’adaptation, dépendent des bonnes ou mauvaises conditions de l’œil ; de même la surdité, le mutisme, etc., viennent de l’état des organes, et ne peuvent être regardés comme appartenant au soi.
104. Inspirer, aspirer, bailler, éternuer, sont des actes produits par prana et autres causes, disent les hommes sages ; la vitalité est manifestée dans la faim et la soif.
105. L’organe interne est en communication avec le canal de l’œil et des autres organes ; et par suite des différentes spécialisations du tout, l’ego (ahankara) est manifesté.
106. Cet ego qui éprouve les jouissances et subit les expériences, doit être connu comme ahankara . En s’associant aux qualités satva, rajas et tamas, il atteint trois conditions.
107. Les objets agréables le rendent heureux, et ceux qui lui paraissent désagréables, malheureux ; bonheur et malheur sont ses propriétés, et non celles d’atma qui est félicité éternelle.
108. Les objets nous deviennent chers, non par eux-mêmes, mais en raison de leur utilité pour le soi, car le soi nous est plus cher que tout.
109. C’est pourquoi l’atma est l’éternelle béatitude ; pour lui il n’y a pas de douleur. La béatitude d’atma désassociée de tout objet, telle qu’elle est expérimentée dans le sommeil sans rêve, est perçue à l’état de veille par la connaissance directe , par instruction et déduction.
110. La suprême maya, d’où cet univers est né, est connue grâce à ses effets, par notre intelligence. Elle est Paramesa sakti (le pouvoir du Seigneur suprême) appelé avyakta (non manifesté), l’avidya (ignorance) sans commencement, doué des trois gunas (qualités).
111. Cette Maya n’est nouménale ni phénoménale et n’est pas essentiellement l’un et l’autre ; elle n’est différentiée ni non-différentiée, et n’est pas essentiellement l’un et l’autre ; elle n’est composée de particules ni non composée de particules, et n’est pas essentiellement l’un et l’autre : elle est la plus merveilleuse et la plus indescriptible forme.
112. Ses effets peuvent être détruits par la réalisation de la non-dualité de Brahman, telle l’illusion de voir un serpent là où il y a une corde, est détruite par la perception de la corde. Ses qualités appelées rajas, satva et tamas, sont connues par leurs effets.
113. Le pouvoir de rajas, est l’extension (vikshepa), qui est l’essence de l’action d’où découlent les tendances qui précédent l’action. Les modifications du mental connues comme attachement et autres qualités productrices de souffrances, dérivent toujours de lui.
114. Désir et colère, avidité, arrogance, malice, aversion, personnalité, jalousie et envie, sont les terribles propriétés de rajas. Par cette qualité une inclination à l’action est produite, et c’est ainsi que l’esclavage est causé par rajas.
115. Le pouvoir de tamas est appelé avriti (enveloppant) ; par cette force une chose apparaît comme si elle était une autre. C’est elle qui est la cause ultime de l’existence conditionnée de l’ego, et par qui la force d’extension (vikshepa) est éveillée à l’action.
116. Quoique intelligent, savant, habile, avec une vue pénétrante dans l’examen de soi-même, et convenablement instruit de différente manière, on ne peut exercer le discernement, si l’on est enveloppé par tamas ; car, en raison de l’ignorance, on regarde comme réel ce qui est né de l’erreur, et qui dépend d’objets dont les propriétés sont le produit de l’erreur. Hélas ! grand est le pouvoir enveloppant de tamas et en même temps invincible.
117. L’absence de perception droite, les pensées contradictoires, celles qui ont trait aux possibilités, l’erreur de prendre les choses irréelles pour des réalités, appartiennent à rajas. Celui qui est attaché à rajas, est perpétuellement emporté par son pouvoir d’expansion.
118. Ignorance, paresse, torpeur, sommeil, illusion, folie, etc., sont les qualités de tamas. Celui qui les possède ne perçoit rien correctement, mais semble comme endormi, ou comme une borne sur la route.
119. Le pur satva bien que mélangé aux deux autres qualités comme une eau se mélange à une autre , devient la voie du salut ; car la réflexion du soi absolu (l’esprit suprême) reçu par satva, manifeste, comme le soleil, l’univers des objets.
120. Les propriétés de satva mélangé sont la dignité, la discipline personnelle, le contrôle de soi-même, etc., le respect, les égards vis-à-vis d’autrui, le désir de libération, les attributs divins, et l’abstention du mal.
121. Les propriétés du pur satva sont la pureté, la perception d’atma en soi-même, la suprême tranquillité, un sens de contentement, la gaîté, la concentration de l’esprit sur le soi, donnant un avant-goût de l’éternelle félicité.
122. Le non-manifesté (avyaktam), dont ces trois qualités sont l’indice, est la cause du Karana sarira (corps causal) de l’ego. Il s’exprime dans le sommeil sans rêve, en qui les fonctions de tous les organes et de Buddhi sont à l’état latent.
123. Le sommeil sans rêve est cet état dans lequel toute conscience est au repos, et où l’intelligence (buddhi) reste à l’état latent ; on dit que dans cet état, il n’y a pas de connaissance.
124. Le corps, les organes, la vitalité, l’intellect (manas), l’ego, etc., toutes différentiations, les objets des sens, la jouissance, etc. ; akasa et les
autres éléments composant cet univers sans fin, y compris l’avyaktarn (non-manifesté), sont le non-esprit.
125. Maya, toutes les fonctions de Maya – depuis Mahat jusqu’au corps, connais-les comme étant asat (prakriti ou objectivité irréelle) semblables au mirage du désert, – car elles sont le non-ego.
126. Je te dirai maintenant la forme essentielle (svarupa) de l’esprit suprême (PARAMATMA) ; la connaissant, l’homme libéré de l’esclavage atteint la réalité de l’être.
127. Un éternel quelque chose, sur lequel repose la conviction concernant l’ego, existe par soi-même, différent des cinq enveloppes, spectateur des trois conditions.
128. Celui qui dans la veille, le rêve et le sommeil sans rêve connaît l’intelligence et ses fonctions, lesquelles sont le bien et l’absence du bien, – celui-là c’est l’ego.
129. Celui qui par lui-même connaît toute chose, et qui n’est connu par aucun, qui vitalise buddhi et les autres principes et qui n’est pas vitalisé par eux, – celui-là c’est atma.
130. L’atma est ce par quoi l’univers est pénétré et qui n’est pas lui-même pénétrable, ce qui illumine toute chose, mais auquel rien ne peut donner d’éclat.
131. Uniquement en raison de la présence d’atma, le corps et les organes, Manas et Buddhi, s’intéressent aux objets qui leur sont propres comme s’ils leur venaient de l’extérieur.
132. Par cela (atma), ayant la forme d’une conscience éternelle, nous percevons tous les objets depuis l’ahankara jusqu’au corps, le plaisir, etc., comme nous percevons une cruche de terre.
133. Ce Purusha, l’essentiel atma est primordial, perpétuel, conditionné, bonheur absolu, revêtu éternellement d’une même forme : il est la connaissance elle-même, – animé par lui le verbe (vach) et les airs vitaux se meuvent.
134. Cette conscience spirituelle non-manifestée apparaît dans le cœur pur comme une aurore, et, brillant comme le soleil de midi dans la « caverne de sagesse », elle illumine l’univers.
135. Le connaisseur des modifications (opérations) de manas et de ahankriti, des actions accomplies par les organes du corps et la vitalité qui est en eux, comme le feu est présent dans le fer qu’il a chauffé, n’agit pas ; il ne prend pas part aux modifications et n’est pas influencé par les actes.
136. Cet éternel n’est pas né, et ne meurt pas, il ne croît, ne décroît, ne se modifie pas, et n’est pas détruit par la destruction de ce corps, plus que l’espace ne disparaît lors de la disparition de la cruche de terre.
137. Le suprême esprit (paramatma) différent de Prakriti et de ses modifications a pour caractéristique essentielle la conscience pure. Spectateur (ou sujet) de buddhi, il brille également dans les états de veille et autres, en manifestant cette infinité de réalité et d’irréalité ainsi que aham lui-même (la racine du soi).
138. Ô disciple, exerçant sur ton mental un contrôle rigoureux, perçois directement atma en toi-même comme « Je suis cela » ; par la sérénité de buddhi, traverse la mer sans rivage de l’existence changeante, dont les vagues sont la naissance et la mort, et te reposant fermement dans la forme de Brahma accomplis ta destinée.
139. L’esclavage consiste dans la conviction que le « Je » a un rapport quelconque avec le non-ego ; l’ignorance (ou erreur) qui en résulte, produit la cause de la naissance, de la mort et de la souffrance de l’individu. C’est par cette erreur seule, qu’il nourrit, entretient et préserve ce corps, prenant l’irréel pour le réel, et qu’il s’enveloppe des objets des sens comme la larve s’emprisonne dans le cocon qu’elle a elle-même secrété.
140. Ô ami écoute ! En celui qui subit l’illusion de tamas l’identification de l’ego avec cela (asat, l’irréel) s’affirme de plus en plus. C’est d’une telle absence de discernement que naît la notion de la corde prise pour un serpent, source de si grandes souffrances pour celui qui l’entretient. De là vient que asat est considéré comme le « Je » par l’homme qui est dans l’esclavage.
141. Le pouvoir enveloppant de tamas voile complètement cet atma, dont la puissance infinie (Vibhava), se manifeste par l’indivisible, éternel, unique pouvoir de connaissance, comme Rahu, (l’ombre de la lune) voile le globe du soleil.
142. A la disparition du suprême et pur rayonnement de son propre atma, l’individu abusé imagine le corps qui est le non-soi, comme étant le soi. Dès lors, le grand pouvoir de rajas appelé vikshepa (extension) l’enchaîne au désir, à la colère, etc... lui occasionnant de cruelles douleurs.
143. Cet homme à l’intelligence pervertie, privé de la réelle connaissance d’atma, dévoré par l’hydre de la grande illusion, est lié à l’existence conditionnée par le pouvoir de cette énergie expansive (vikshepa). Dès ce moment, menant une conduite méprisable, il s’élève et retombe dans cet océan empoisonné qu’est l’existence conditionnée.
144. Comme les nuages produits (c’est-à-dire rendus visibles) par les rayons du soleil, se manifestent en les cachant, ainsi l’égotisme, né de sa relation avec atma (ou ego), se manifeste en cachant le réel caractère d’atma (ou ego).
145. De même qu’aux jours de tempête, les épais nuages qui cachent le soleil sont agités violemment par les âpres rafales glacées, ainsi lorsque, sans relâche, l’ego est enveloppé par tamas, l’homme au buddhi abusé est traqué par l’aiguillon de souffrances sans nombre, sous l’influence du pouvoir expansif (vikshepa).
146. Ces deux pouvoirs produisent l’esclavage de l’individu ; trompé par eux, il croit que le corps est atma.
147. De l’arbre de la vie conditionnée, la semence est véritablement tamas, la pousse naissante la conviction que le corps est l’ego, l’attachement est son feuillage, Karma réellement sa sève, le corps en est le tronc, les airs vitaux les branches dont les cimes sont les organes, les fleurs sont les objets des sens, le fruit la variété des souffrances occasionnées par le multiple Karma, et Jiva est l’oiseau qui s’en nourrit.
148. L’esclavage du non ego prenant sa racine dans l’ignorance, produit ce torrent de naissance, mort, maladie, vieillesse et autres maux de ce Jiva, qui par sa propre nature, est sans commencement ni fin.
149. Les liens de l’esclavage ne peuvent être tranchés par des armes offensives ou défensives, ni par le vent, ni par le feu, voire même par des dizaines de millions d’actions , mais seulement par la grande épée, effilée et brillante, du discernement dans la connaissance, et cela à la faveur de yoga .
150. Un homme dont l’esprit est fixé sur les conclusions des Védas s’applique aux devoirs qui lui sont prescrits ; par cet exercice, Jiva se purifie lui-même. Dans le buddhi purifié se trouve la connaissance du suprême ego et de cette connaissance résulte l’extinction totale de la vie conditionnée jusque dans ses plus profondes racines.
151. Comme l’eau dans la citerne, est cachée par la mousse qui la recouvre, ainsi atma recouvert des cinq enveloppes produites par son propre pouvoir, et commençant par annamaya ne peut se manifester.
152. Lorsque la mousse est écartée, l’eau pure qui apaise la chaleur et la soif apparaît, causant immédiatement à l’homme une grande joie.
153. C’est lorsque les cinq enveloppes sont rejetées qu’apparaît le pur pratyagatma (le Logos), l’éternelle joie, pénétrant toute chose, la suprême lumière elle-même.
154. Un homme sage doit acquérir le discernement entre l’esprit et le non-esprit ; c’est seulement par la réalisation du soi qui est l’être absolu, la conscience et la félicité, qu’il trouvera lui-même la béatitude.
155. Quiconque a établi la distinction entre le pratyagatma qui est sans attachement ni activité, et la série des objets, comme l’on distingue le roseau du « tiger-gras », et qui immerge toute chose en cela, trouve le repos, car il sait que c’est là le soi réel. En reconnaissant le pratyagatma, et transférant en lui l’individualité humaine, il parvient à la libération.
156-157. Ce corps produit par la nourriture, qui vit par la nourriture et qui périt sans elle, qui est un composé de peau, d’épiderme, de chair, de sang, d’os et d’impuretés, est l’enveloppe appelée annamaya ; il ne peut être regardé comme le soi qui est éternel et pur.
158. Cet atma était avant naissance et mort et il est maintenant ; comment lui, le vrai soi, le connaisseur des états et modifications, pourrait-il être éphémère, changeant, différencié, un simple véhicule de conscience ?
159. Le corps possède des mains, des pieds, etc... il n’en est pas ainsi du vrai soi, qui lui, quoique sans membres, parce qu’il est le principe vivifiant, et que ses pouvoirs sont indestructibles, est le gouverneur et non le gouverné.
160. Le vrai soi étant le spectateur du corps, de ses propriétés, de ses actions et de ses conditions, il est de toute évidence que ces marques caractéristiques ne peuvent être attribuées à l’atma.
161. Comblé de misère, recouvert de chair, rempli d’impuretés, accablé de péchés, comment (le corps) pourrait-il être le connaisseur ? L’ego est autre que cela.
162. L’homme abusé considère l’ego comme étant la masse de peau, de chair, de graisse, d’os et d’impuretés. L’homme de discernement sait que la forme essentielle du soi, qui est vérité suprême, ne peut avoir ces choses pour caractéristiques.
163. « Je suis le corps ». Telle est l’opinion de l’homme dans l’erreur ; l’homme instruit applique la notion du « Je », aussi bien au corps qu’au jiva (monade). Mais la conviction de la grande âme qui possède le discernement et la perception directe, est par égard au soi éternel : « Je suis Brahman ».
164. Ô toi ! dont le jugement est perverti, abandonne l’opinion que l’ego consiste en cette masse de peau, de chair, de graisse, d’os et d’impuretés ; sache que le soi réel est l’omniprésent, l’immuable atma : tu obtiendras ainsi la paix.
165. Alors même que l’homme sage connaîtrait les védas et leurs significations métaphysiques, tant qu’il n’abandonnera pas l’idée que l’ego est composé du corps, des organes, etc..., idées produites par l’illusion, il n’y aura pour lui nul espoir de salut.
166. L’idée que chacun a du « moi » n’est jamais basée sur l’ombre ou le reflet du corps, pas plus que sur le corps vu en rêve ou imaginé par l’esprit ; elle ne saurait davantage être basée sur le corps vivant.
167. Parce que la semence qui produit la souffrance, sous forme de naissance, etc..., n’est autre que la conviction erronée que l’ego est simplement le corps, les efforts les plus pénibles doivent être entrepris pour se débarrasser de cette idée ; l’attraction pour l’existence matérielle cessera de ce fait.
168. Conditionnée par les cinq organes d’action, cette vitalité devient l’enveloppe pranamaya au moyen de laquelle l’ego incarné accomplit toutes les actions du corps matériel.
169. Le pranamaya étant la modification de la vie respiratoire, le va-et-vient interne et externe du souffle, ne saurait être non plus l’atma puisqu’il ne peut discerner par lui-même le bien du mal, le réel soi d’un autre, il est toujours dépendant (du soi).
170. Les organes de sensation réunis au manas forment l’enveloppe manomaya qui est la cause (hetu) de la distinction qui s’établit entre moi et le mien ; cette distinction est le résultat de l’ignorance, elle envahit l’enveloppe précédente et manifeste sa puissance en séparant les objets au moyen de noms, etc...
171. Les cinq sens, tels cinq Hotris nourrissent le feu de l’enveloppe manomaya avec les objets, comme avec des torrents de beurre fondu ; flamboyant de nombreux désirs, ce feu brûle le corps, fait des cinq éléments.
172. Auprès de manas est avidya. Manas est lui-même l’avidya, l’instrument qui produit l’esclavage de l’existence conditionnée. Quand cet avidya est détruit, tout disparaît ; quand il se manifeste, tout est manifesté .
173. En rêve, alors qu’il n’y a pas de réalité de substance, on entre, par le pouvoir de manas dans un monde de joie. Il en est de même, et sans nulle différence dans la vie de veille, car le tout n’est que la manifestation de manas .
174. Chacun sait que lorsque manas est plongé dans l’état de sommeil sans rêve rien ne reste. Ainsi ce qui est contenu dans notre conscience est créé par manas et n’a pas d’existence réelle.
175. Les nuages sont amoncelés par le vent puis encore dispersés par le vent ; l’esclavage est créé par le manas, et par lui aussi, la libération est produite.
176. Produisant l’attachement au corps et à tous autres objets le manas lie l’individu, comme un animal est lié avec une corde ; engendrant ensuite l’aversion envers ces choses, comme si elles étaient un poison, le manas lui-même libère l’homme de son esclavage.
177. C’est ainsi que le manas est cause de l’esclavage de l’individu, aussi bien que de sa libération. Quand il est souillé par la passion il enchaîne, mais quand il est pur, dépourvu de passion, et délivré de l’ignorance, il est libérateur.
178. Quand le discernement et le détachement prédominent, le manas ayant atteint la pureté est prêt pour la libération ; c’est pourquoi ces deux qualités doivent être fortifiées dès le début, chez l’homme possédant buddhi et désireux d’être libéré.
179. Le grand tigre qui a nom manas erre à travers la forêt ; l’homme pur, désireux de libération, ne s’aventure pas dans la forêt.
180. Le manas, par l’intermédiaire des corps grossiers et subtils de celui qui jouit, crée les objets de désir et produit perpétuellement les différences de corps, d’états, de conditions et de races, qui sont le résultat de l’action des qualités.
181. Le manas ayant obscurci la conscience absolue qui est dépourvue d’attachement, acquiert la notion de « moi » et du « mien » ; grâce à l’attrait du corps, des organes et de la vie il vagabonde sans cesse, jouissant du fruit de ses actions.
182. Par l’attribution des qualités de atma à ce qui n’est pas atma la série des incarnations est créée par manas ; c’est lui qui dans l’homme privé de discernement et corrompu par rajas et tamas, est la cause primitive des naissances, souffrances, etc...
183. C’est pourquoi l’homme instruit qui a vu la vérité, appelle manas : avidya, ce par quoi l’univers est mis en mouvement, comme le sont les nuages par le vent.
184. Parce qu’il en est ainsi, celui qui désire se libérer doit s’efforcer de purifier manas. Quand il a atteint la pureté, la libération est proche.
185. Animé du désir unique pour la libération, ayant déraciné jusqu’au moindre attachement envers les objets et acquis le renoncement de tout intérêt personnel dans l’action, celui qui s’est donné à l’étude (sravana) et dont le cœur pur est plein de dévotion, détruit la passion attachée au mental.
186. L’enveloppe manomaya, elle-même, n’est pas le suprême ego parce qu’elle a un commencement et une fin, qu’elle est douée d’une nature modifiable, que sa caractéristique est de procurer la souffrance, et que son état est objectif. L’ego n’est pas vu par ce qui est soi-même visible (ou objectif), car il est le voyant (ou le sujet).
187. Buddhi avec ses fonctions, se combinant avec les organes de perception, devient l’enveloppe vignanamaya, dont la caractéristique est l’action, cause de la roue des naissances et des morts.
188. La modification de prakriti, jointe au pouvoir qui accompagne chita pratibimba (jiva ou monade) est appelée vignanamaya l’atma, et possède les facultés de connaissance et d’action . Sa fonction est de spécialiser en tant qu’ego, le corps, les organes, etc...
189. Cet ego qui n’a pas de commencement dans le temps, est le jiva ou monade. Il est le guide de toute action, gouverné par les désirs antérieurs, il produit les actes bons ou mauvais avec leurs conséquences.
190. Il recueille les expériences dans sa course errante, à travers divers stades d’incarnation , allant et venant, montant et descendant . C’est à ce vignanamaya qu’appartiennent le plaisir et la souffrance, inhérents aux états de veille, de rêve, etc...
191. Suprêmement illuminé par la lumière du Logos, à cause de son intime proximité avec Paratma (le Logos), l’enveloppe vignanamaya qui produit la différence entre « moi » et « le mien », ainsi que toutes les actions qui appartiennent aux différents stages de la vie et de ses conditions, devient l’upadhi de Jiva (sa base objective), lorsque celui-ci, par ignorance, passe d’une existence à une autre.
192. Ce Jiva vêtu de l’enveloppe vignânamaya, brille dans les souffles vitaux (les courants subtils du sukshmasarira) et dans le cœur. Agissant sur Kuthastha (mulaprakriti) et se manifestant dans cet upadhi, il semble être l’acteur et le jouisseur.
193. Étant limité par buddhi (l’intellect), l’atma quoique pénétrant toute chose, apparaît, par l’effet du principe créateur d’illusion (l’ego), différent des autres objets, telle la cruche de terre apparaît différente de la terre.
194. Parce que Paramatma est uni à une base objective, il semble partager les attributs de cet upadhi, tel le feu, qui sans forme, semble partager celle du fer auquel il est inhérent. L’atma est par sa nature même essentiellement immuable.
L’élève dit :
195. Que ce soit par ignorance ou par tout autre cause, l’atma apparaît invariablement comme Jiva (la plus haute partie du cinquième principe) ; cet upadhi n’ayant pas de commencement, sa fin ne peut être imaginée.
196. Il semble donc que la liaison d’atma avec jiva soit interminable et que leur vie dans la forme conditionnée, demeure éternellement. Dis-moi alors, Ô Maître béni, comment peut-il y avoir libération.
L’Instructeur béni dit :
197. Ô homme sage, tu as fait une juste demande. Ecoute maintenant avec soin. – Les fantaisies illusoires qui naissent de l’erreur ne sont pas concluantes.
198. En vérité, l’atma, l’indépendant, l’inactif, le sans forme, ne peut, sans erreur, être considéré comme associé aux objets, de même que la couleur bleue n’est attribuée au ciel qu’en raison de notre vision limitée.
199. Le voyant du soi (pratyagatma) étant inactif, sans attributs, est connaissance et félicité. C’est par l’erreur dont buddhi est la cause qu’il apparaît comme conditionné (lié à jiva), mais il n’en est pas ainsi. Quand cette erreur est dissipée, le lien n’existe plus ; sa nature est donc irréelle.
200. Aussi longtemps que dure cette erreur, le lien avec jiva, créé par la fausse connaissance existe ; c’est ainsi que l’illusion produite par la croyance que la corde est un serpent, persiste seulement durant la période d’erreur. Dès que l’erreur est détruite, il n’y a plus de serpent.
201-202. L’ignorance est sans commencement, il en est de même de ses effets ; mais quand la connaissance se fait jour, l’ignorance est entièrement détruite ; telle la vie de rêve à l’heure du réveil. Etant assimilable à pragabhava il est clair que l’ignorance, quoique sans commencement, n’est pas éternelle.
203-204. Ainsi le lien d’atma avec jiva qui a pour base buddhi, quoique n’ayant pas de commencement peut être regardé comme ayant une fin. Ce lien est donc sans existence, et l’atma est entièrement différent de jiva, dans sa nature et dans ses attributs. Le lien entre atma et jiva (l’intellect) est établi sur une fausse connaissance.
205. Cette union ne peut être brisée que par la connaissance véritable, non autrement. La connaissance du fait que Brahm (la cause première) et atma ne sont qu’un et le même, est la connaissance véritable en accord avec les Védas.
206. Cette connaissance ne peut être acquise que par le discernement parfait entre l’ego et le non-ego ; après cela le discernement doit être exercé entre pratyagatma (le Logos) et sadatma (l’ego).
207-208. Comme l’eau la plus bourbeuse paraît claire lorsque la boue a disparu, ainsi le pratyagatma brille dans sa pure lumière lorsque sadatma (l’ego) est débarrassé de asat , l’irréalité. Le Logos doit être séparé de sadatma et de tout ce qui appartient au soi irréel.
209. Le Paratma (le Logos) n’est donc pas ce qui est appelé le vignanamaya. En raison de son caractère changeant, indépendant et matériel, aussi bien qu’objectif et sujet à erreur, l’enveloppe vignanamoya ne peut être regardée comme éternelle.
210. L’enveloppe Anandamaya est la réflexion de la félicité absolue, elle n’est pas cependant libérée de l’ignorance. Ses conséquences sont le plaisir avec tout ce qui lui est semblable, par elle les plus hautes affections sont réalisées (en swarga). Cette enveloppe dont l’existence dépend des actions vertueuses, se manifeste sans effort comme Anandamaya (c’est-à-dire comme la conséquence nécessaire d’une bonne vie), chez l’homme de bien qui jouit des fruits de son propre mérite.
211. La manifestation principale de l’enveloppe Anandamaya est produite dans le sommeil sans rêve. Dans les états de veille et de rêve, elle s’exprime partiellement à la vue des objets agréables.
212. L’enveloppe Anandamaya n’est pas davantage Paratma (le Logos) le suprême esprit, car elle subit des conditions. Elle est une modification de Prakriti, un effet et la somme totale des conséquences de toutes les bonnes actions.
213. Selon les Védas et par déduction logique, l’atma est ce qui demeure après la suppression des cinq enveloppes. Il est le témoin et la connaissance absolue.
214. Cet atma est la lumière en soi, et est différent des cinq enveloppes ; il est le témoin des trois états (la veille, le rêve et le sommeil sans rêve) ; il est sans tache et immuable, félicité éternelle, c’est ainsi que le savant Brahman doit le comprendre.